POÈMES, UN PREMIER TESTAMENT (Alain Bosquet)
Posted by arbrealettres sur 5 novembre 2016
POÈMES, UN PREMIER TESTAMENT
J’ai dit «pomme» à la pomme ; elle m’a dit « mensonge» ;
Et « vautour » au vautour qui n’a pas répondu.
Dans mon livre, le soir, la comète s’allonge,
Et l’amour n’est amour que douze fois relu.
Mon corps est, lui aussi, un livre qu’il faut lire,
Puisqu’on lit un genou comme on lit l’horizon.
Vivre ou écrire, écrire ou vivre ? Je soupire :
Dans le verbe ma chair a trouvé sa raison.
Il est si roux, le mois d’octobre entre les pages ;
Il est si vert, le mois d’avril, à peine âgé
D’un mot qui dit l’amour, d’un mot qui fait l’image ;
Il est si gris, le mois qu’il me faut corriger.
Un agneau tout à l’heure est sorti de mon verbe ;
Il a fait quelques pas dans le ciel de l’été.
Mon agneau si verbal, vas-tu brouter mon herbe,
Verbale comme toi : je viens de l’inventer ?
Qui parle à mon poème ? Il est triste et fragile.
Quand je lui dis bonjour, il se croit supplicié,
Congédie son aurore et déchire ses îles
Pour vivre de silence ; il est mon seul sorcier.
Qui parle à mon amour ? Il se veut impudique.
Le vice est beau, mon livre, et c’est moi qui te mords !
Où commence la chair ? Où finit la musique ?
Je sais que la parole est toujours un remords.
S’il faut que le poème écrive son poète,
Dis-moi, mon livre, est-ce de toi que je suis né ?
Quelle page a prévu ma naissance indiscrète
Et prédit mille fois : « Tu seras condamné » ?
(Alain Bosquet)
Vivre ou écrire – tea, books & rock'n'roll said
[…] Extrait de Premier Testament, Alain Bosquet (1919 – 1998) […]