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Poésie

LES SOMNAMBULES (Jean Richepin)

Posted by arbrealettres sur 4 février 2017



somnambules

LES SOMNAMBULES

Quand on est amoureux, on vit
A la façon des somnambules
Qui vont, plus légers que des bulles,
Sur le bord des toits, l’œil ravi.

Le bord glissant comme de l’huile
Est sûr et ferme sous leurs pas.
Le gouffre est là, qu’ils ne voient pas,
Au bout de la dernière tuile.

Ils marchent les bras en avant
Comme s’ils priaient leurs étoiles,
Et ne sentent pas dans leurs moelles
Monter le vertige énervant.

Débarrassés des lois physiques,
Un aveugle instinct les conduit.
Les précipices de la nuit
Ont pour eux de douces musiques.

La brise qui leur parle bas
A n’avoir pas peur les engage.
L’infini leur tient un langage
Que le monde ne comprend pas.

Soutenus par un souffle étrange
Ils cheminent, silencieux,
Gomme s’il allaient dans les cieux
Partir avec des ailes d’ange.

Ils vont ainsi jusqu’au moment
Où, d’un cri perçant leur oreille,
Quelqu’un qui les voit les réveille,
Et rompt le charme brusquement.

L’ange s’enfuit! Reste la bête,
Qui, soûle encor d’avoir rêvé,
Chancelle, et va sur le pavé,
Sanglante, se casser la tète.

(Jean Richepin)

 

 

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