Dans les yeux, rien de leur histoire ne s’efface (Georges Rodenbach)
Posted by arbrealettres sur 24 juin 2017
Dans les yeux, rien de leur histoire ne s’efface;
Rien n’est soluble; tout s’avère à leur surface…
Ainsi tels yeux ont l’air pauvres dorénavant
Pour avoir médité d’entrer en un couvent;
Tels sont en fleur pour avoir vu des orchidées;
D’autres sont nus de tant de fautes regardées;
On y perçoit des courtisanes se baignant
Et par leurs fards perdus l’eau des yeux est nacrée;
D’autres, pour être nés près d’un canal stagnant,
Portent un vaisseau noir qu’aucun marin ne grée
Et qui semble, dans eux, captif en des glaçons…
Prolongement sans fin ! Survie ! Aubes lointaines !
Ciel qui met dans les puits de bleus caparaçons !
Nuages habitant les prunelles humaines !
Tout le passé qui s’y garde, remémoré !
Tout ce qui s’y trahit qu’on croyait ignoré :
Les voeux qu’on viola; les seins que nous fleurîmes;
Et le regard qu’on eut en pensant à des crimes;
Et le regard qu’on eut, pris d’un dessein vénal,
Fût-ce un instant, jadis, devant des pierreries
— Trésor qu’on troquerait contre ses chairs fleuries —
Et qui fait à jamais, de 1’oeil, l’écrin du Mal.
Car tout s’y fige, y dure, et tout s’y perpétue
Désirs, mouvements d’âme, instantané décor,
Tout ce qui fut, rien qu’un moment, y flotte encor;
Dans l’air des yeux aussi survit la cloche tue,
Et l’on voit, dans des yeux qui se croient gais et beaux,
D’anciens amours mirés comme de grands tombeaux !
(Georges Rodenbach)
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