Je revenais des autres chaque fois guéri de moi
A l’abri d’un sourire
D’un geste qui donnait champ
Des moissons d’une parole
Je quittais citernes et mirages
du chagrin pour une sorte de bonheur
Enclos
Dans le fruit délectable
De nos corps
Dans la pulpe savoureuse
De notre chair
Nous oublions le temps
Son harpon impitoyable
Qui peu à peu nous dégrade
Et nous entraîne
Dans les filets de la mort
Comment se soumettre
Au détissage de nos peaux
Aux flux de nos rides
Aux piétinements de l’âme
Au pourrissement des os.
Comment ignorer
La morosité de l’aube
Les pâleurs de la nuit
Les brisures de la flamme
Ou le chant appauvri
Comment redresser
La fourbe courbure
Comment se détourner
De l’avenir suspendu ?
Qui étais-je avant
Que serais-je après
Ce bref parcours de vie
Encerclé de mystère ?
J’alerte
Les crédos de l’âme
Je m’attache
Aux menées de l’esprit
Je braconne
Dans les gisements du cœur
Je furète
Parmi les trames du savoir
J’avance
À l’insu des mots
Je malmène
Les dieux et les lois
Dans mon métier, mon art morose
exercé dans la nuit silencieuse
quand la lune seule fait rage
quand les amants sont étendus
avec toutes leurs douleurs dans les bras,
je travaille, à la lumière du chant,
non par ambition ou pour mon pain
ni pour le semblant, ni par commerce
de charmes sur des scènes d’ivoire
mais pour le salaire ordinaire
du profond secret de leurs coeurs.
Ni pour le prétentieux, ignorant
la lune qui fait rage, j’écris
sur ces pages mouillées d’embrun,
ni pour les morts trop hauts
avec leurs rossignols et leurs psaumes
mais pour les amants, leurs bras
enlaçant les chagrins du Temps,
qui n’accordent ni attention, ni salaire
ni éloge à mon métier, mon art morose.
***
In my craft or sullen art
Exercised in the still night
When only the moon rages
And the lovers lie abed
With all their griefs in their arms,
I labour by singing light
Not for ambition or bread
Or the strut and trade of charms
On the ivory stages
But for the common wages
Of their most secret heart.
Not for the proud man apart
From the raging moon I write
On these spindrift pages
Nor for the towering dead
With their nightingales and psalms
But for the lovers, their arms
Round the griefs of the ages,
Who pay no praise or wages
Nor heed my craft or art.