LA FAUSSE VEUVE (Albert Ayguesparse)
Posted by arbrealettres sur 27 avril 2018
<LA FAUSSE VEUVE
Etincelante de rosée, la rue est un torrent desséché, un
squelette de cailloux nus et gris. Première et seule, une femme
s'avance dans l'ombre qui serpente sur le sable étoilé par les
oiseaux, de cristaux vides, de signes noirs et légers. Son coeur
est amer comme un déluge. Elle détourne les yeux des chambres
où les amants reposent, bercés par le clapotis du plaisir.
Elle est jeune et sa gorge fine, très blanche, serrée entre les
dents du corsage comme un fruit chaud et pesant, se soulève
quand elle pense à son mari fou qui, toute la journée, trace sur
les murs de sa cellule, loin des hommes, loin de la terre, de
toutes les fleurs de la terre, des fougères géantes et des dessins
obscènes que le médecin-chef vient admirer après sa visite, en
attendant l'heure de l'apéritif.
Le soleil dore sa nuque, ses épaules rondes, pétries de l'argile
chaude de la création, et force les serrures de son corps. Eblouie
par les lourds sexes de pierre qui rêvent dans sa mémoire,
elle marche entourée de flammes. Son sang affolé bat jusqu'aux
plus hautes feuilles du grand arbre de feu qui incendie ses
veines. La sueur mouille ses flancs, sa taille où le désir creuse
un petit pli, un bourrelet de chair nacrée. A chaque pas, elle
déplace cette nuée ardente qui la brûlera jusqu'à la fin des jours,
jusqu'à la fin de cette vie qu'elle croyait sans surprises et qui,
soudain, l'épouvante.
(Albert Ayguesparse)
Qu'est-ce que ça vous inspire ?