L’Oreille cassée (Michel Serres)
Posted by arbrealettres sur 4 juin 2019
L’Oreille cassée
Le vivant, le vrai
Nos visages ravagés de rides se souviennent des sillons de larmes
et notre colonne vertébrale se voûte sous le poids des tristesses passées.
Un corps vivant ne reste pas longtemps vierge et lisse;
la santé, la joie de vivre n’excluent pas les coups ;
bien au contraire, nous n’existons que de souffrances vaillantes contre l’adversité ;
les bons organismes présentent une tête burinée, un corps las et courageux,
une puissance dévastée, mais toujours debout.
Avant le premier coup de corne,
comment savoir si le torero se conduit avec courage ?
Il n’y a de vrai vivant que déchiré.
Les cicatrices renforcent.
Il n’y a de vérité que falsifiée.
Le faux plaide pour le vrai.
Il n’y a de bonté que tentée.
Quelle vertu sans tribulations ?
Il n’y a de bon système que cassé.
Si tout marche, rien ne marchera.
Chaque épreuve me précipite au devant de ce fétiche :
il n’y a de vrai dieu que blessé.
(Michel Serres)
Traduction:
Editions: Le Pommier
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