Dimanche matin (Michel Butor)
Posted by arbrealettres sur 27 novembre 2019
La neige au-dessus des mimosas, les paquets de
journaux près des flaques, la fontaine dans les bois où le
receveur des contributions nettoie sa voiture.
En bas les bâches bleues et rouges tendues sur les piles
de sacs de ciment et les taches de rouille ou de minium sur
les coques des cargos qui viennent de Limassol ou d’Odessa.
Plus loin quelques fleurs mauves dans les rochers
blancs, les nudistes parcourent le sentier des douaniers,
baisers dans les coins, chiens qui flairent, la mer lape les
galets et les retourne comme des pièces fausses.
Au large les yachts frétillent après une semaine de
somnolence, les mouettes virent à l’assaut, claquent un
peu et plongent vers les épluchures que les cuisiniers
laissent tomber dans leur sillage.
Puis l’heure sonne à travers le frisson des branches
et le tintement des câbles métalliques dans l’accalmie de
la circulation.
Soudain le nid du phénix s’enflamme dans les collines et les mots éperdus, comme lâchés après des mois
de claustration, se cherchent dans ma tête au galop.
Alors je ramasse au bord du chemin les fragments
d’un vieux prospectus vantant les mérites d’une voyante, et
m’appuie sur le dossier d’un banc pour écrire ceci au verso.
(Michel Butor)
Traduction:
Editions: Seghers
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