En robes anciennes Sur un étang laiteux (Louise de Vilmorin)
Posted by arbrealettres sur 3 avril 2020
En robes anciennes
Sur un étang laiteux
Des patineuses viennent
Grinçant quelques aveux.
En robes anciennes
Elles sont aussi pâles
Que les aubes d’hiver,
Le vent tire leurs châles,
Leurs bras sont grands ouverts.
Elles sont les plus pâles.
Paupières baissées
Et la grâce à leur front
Elles passent bercées
Et bientôt s’en iront.
Paupières baissées,
Où donc s’en iront-elles?
Beaux oiseaux des étangs,
Beaux oiseaux demoiselles
Restez jusqu’au printemps.
Où donc s’en iront-elles?
Hélas ! demain peut-être,
Peut-être dans un lit
Et, dans l’ombre d’un traître
Que le désir pâlit,
Hélas ! demain peut-être
Comme lierre aux branches,
Elles iront lier
Leurs doux bras de peau blanche.
Elles iront prier
Comme lierre aux branches,
Comme lierre prie
En sa feuille qui croît,
Par l’amour enhardies,
Vers des liens étroits
Comme lierre prie,
Lianes de peau blanche
Aux branches de la nuit,
Vérité qui s’épanche
Nue, en la nuit des puits,
Lianes de peau blanche
Dont la fleur est certaine
Elles feront leur don
Et dès l’aube prochaine
Trouveront l’abandon
Dont la fleur est certaine.
Vérités diaphanes,
Enfants d’éternité,
Les amours tôt se fanent,
Les lits sont désertés.
Vérités diaphanes,
Restez de vos eaux fraîches
Les plus fraîches des fleurs.
Certain baiser dessèche
Les bouquets de candeur.
Restez dans vos eaux fraîches,
Restez là, je vous aime.
La lune aux feux glacés
Sur vous porte l’emblème
D’un rêve dépassé.
Restez là. Je vous aime.
Vous êtes aussi pâles
Que les aubes d’hiver,
Le vent tire vos châles,
Vos bras sont grands ouverts
Vous êtes aussi pâles
Que les plus pâles mortes
Et vous vivez pourtant,
Et cet étang vous porte
Vers moi qui vous attends.
O mes plus pâles mortes
Montrez-moi vos visages,
Venez ici, tout près
Sur le bord du rivage
Que je voie bien vos traits.
Montrez-moi vos visages,
Vos lèvres, vos prunelles.
Vous me consolerez
Par un sourire frêle,
Par un mot murmuré.
Vos lèvres, vos prunelles
En leur jeunesse vive
Seront devant mes yeux
Lèvres de ma pensive
Et son regard d’adieu
En sa jeunesse vive.
(Louise de Vilmorin)
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