TENEBRES (Gyula Illyès)
Posted by arbrealettres sur 14 avril 2020
TENEBRES
Nous marchons sans lanterne
Le sol est plat.
A gauche ondoient les blés
A droit — odeur de cèpes —
Nous suit un petit bois.
Noyaux de nuit plus dense
Un à un détachés
Des peupliers s’avancent
Vers nous pour défiler.
On ne voit pas la route
Où s’enfoncent les pieds
Nuit au ras de la bouche
Mais l’oreille émergée.
A fleur de paysage
S’allume à nos tympans
Un film dont les images
Se heurtent sur l’écran.
On tâtonne. A l’ami
Lointain, la bonté proche
La Parole nous lie
Seule : combien humaine !
Un train à l’infini
Siffle. La chouette ulule.
Monde, étroite cellule,
Plafond de galaxies.
La peur nous ratatine
Mais nous dilate aussi.
On passe des abîmes
Sans remuer d’ici.
Le flair renaît en nous
Aussi fin qu’à l’époque
Où l’homme était un loup.
Ses pistes sont les nôtres.
Des yeux nous en avons
Derrière notre crâne,
Au nez comme aux talons,
Au fer de notre canne
Tout au bout des antennes
Qui précèdent l’esprit
Fouillant la nuit, jumelle
De l’aveugle patrie.
Suivons l’aïeul farouche
L’instinct. Nulle clarté
Sinon quand ma main touche
La tienne, électrisée.
Marchons. La terre écoute.
Par chance de là-bas
Nos coeurs ne se voient pas
Vers luisants sur la route.
(Gyula Illyès)
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