RONDEAU DE LA VIE QUI SE RETIRE (André Berry)
Posted by arbrealettres sur 19 août 2020
Illustration: Jérôme Royer
RONDEAU DE LA VIE QUI SE RETIRE
Démon Vital, toi qui dans ma jeunesse
Tenais bandés mes tendons résolus,
Précipitant vers amour et prouesse
Tout mon squelette aujourd’hui si perclus, —
De mes fols sens, de mon coeur chimérique
Combien de fois forças-tu les transports!
Combien de fois à travers tout mon corps
Ai-je senti ton fluide électrique,
Démon Vital!
Ô si longtemps dans ma boîte à cervelle
Toi qui soutins les pensers chevelus,
Et de ma jambe et de mon rein fidèle
Les bonds musclés et les combats râblus,
Tant que ton flot ruissela dans ma tête,
Tant que ton feu délia mes ressorts,
Beauté n’était ni palmes ni trésors
Dont mon ardeur n’entreprit la conquête,
Démon Vital!
Démon Vital, maintenant tu me quittes;
Dans mes vieux nerfs tes généreux influx
Ont espacé, puis cessé leurs visites,
Tes chauds courants ne me fréquentent plus.
A quel ennui ta retraite me livre!
De l’ancien souffle â peine un reste encor,
Oiseau blessé, volète dans mon for,
Et je me meurs de ne plus vouloir vivre,
Démon Vital.
(André Berry)
Traduction:
Editions: René Julliard
Cochonfucius said
Démon du sentier
———————-
C’est un démon paisible, il a bon caractère,
Son âme est sans venin, son esprit n’est pas noir ;
Il n’est point abrité par un noble manoir,
Mais bien par une ruine, un humble tas de pierres.
Son tranquille intellect n’a percé nul mystère,
Il voit dans le réel ce que chacun peut voir ;
Il ne nous vante point son modeste savoir,
Son discours est limpide et sa parole est claire.
Il ne sait presque rien de l’inframonde immense,
Il n’y va pas souvent, c’est rare qu’il y pense ;
Il préfère marcher ou rêver dans les bois.
Quand vient le vert printemps, la nature s’éveille ;
Devant cette splendeur, le démon s’émerveille,
Trouvant que l’univers a d’élégantes lois.
Cochonfucius said
Démon des monts
——–
J’ai pour royaume une pente lointaine,
Je ne fais rien, je dévore à loisir ;
Mon coeur qui s’use a de moindres désirs,
Mon souffle est court, ma vie est incertaine.
L’eau d’un glacier me tient lieu de fontaine,
Dont la fraîcheur me donne du plaisir ;
Un sommelier ne saurait mieux choisir,
Cette boisson vaut celles de la plaine.
Près des sommets sont d’étranges pâtures,
Peu d’animaux à brouter s’aventurent ;
Ceux qui le font sont mes proches parents.
C’est surprenant, ce n’est pas effarant,
La neige est pure et l’air est transparent ;
Qui donc pourrait en faire la peinture ?