J’AI VU (Louise de Vilmorin)
Posted by arbrealettres sur 5 décembre 2020
J’AI VU
J’ai vu plus d’un adieu se lever au matin,
J’ai vu sur mon chemin plus d’une pierre blanche,
J’ai vu parmi la ronce et parmi le plantain
Plus d’un profil perdu, plus d’un regard éteint
Et plus d’un bras, la nuit, que me tendaient les branches.
Par le calme et la pluie et le souffle du vent
J’ai vu passer les mots qu’un baiser accompagne.
J’ai vu ces baisers-là s’en aller au couvent
Et dans le flot des lacs où le temps va, rêvant,
J’ai vu plus d’un noyé dont je fus la compagne.
J’ai vu tous mes regrets guetter mon avenir,
L’amour me délaisser pour une autre nature
Mon coeur, mal estimé, de loin me revenir
Et ce coeur me rester pour battre ma mesure.
Ces mains, ces yeux, ces bras où passa mon destin
Ces profils éperdus ne pesant plus une once,
Je les revois dans l’onde et l’arbre et le plantain
Et je vois mon destin dans l’entrelacs des ronces.
(Louise de Vilmorin)
Cochonfucius said
Détacjement
——-
Ce coeur, ce pauvre coeur que tout mal abandonne,
Dorénavant, va-t-il aux loisirs s’adonner ?
S’il tarde à te répondre, il faut lui pardonner,
Ses mots sont tout en vrac, attendons qu’ils s’ordonnent.
La lune le pétrit, la brume le façonne,
Il va comme un errant dans les champs moissonnés ;
Il entend, vers le soir, une cloche sonner,
Il se met à rêver d’un village en Essonne.
Comme un lecteur gourmand qui d’un livre s’empare,
À rêver d’un ailleurs voici qu’il se prépare,
Un coin de l’avenir ou du lointain passé.
Une muse il entend, une voix amicale,
Sa présence embellit la chambre monacale ;
Nulle amante jamais ne la put surpasser.