SIRÈNES (Marguerite Yourcenar)
Posted by arbrealettres sur 11 mars 2022
Illustration: Victor-Louis Mottez
SIRÈNES
Avec des rires sourds et de grondants sanglots,
Les filles de la mer se battent ou s’étreignent,
Et leurs cheveux luisants que dans l’ombre elles peignent
Traînent, fourrure sombre, au pied des noirs îlots.
L’anguille voyageuse et les vifs cachalots,
L’ourson couleur de neige à leur côté se baignent;
Et les feux de leurs yeux s’allument et s’éteignent,
Fanal de naufrageur qui tremble sous les flots
Leurs corps d’ambre et de lait ont la forme des vagues;
Les regrets, les terreurs, l’espoir, les désirs vagues,
Se condensent la nuit dans le brouillard amer.
Et, bercés mollement sur la gorge où tout sombre,
Les morts, coulés à pic, vont savourer dans l’ombre
Tout l’amour contenu dans la mort et la mer.
(Marguerite Yourcenar)
Traduction:
Editions: Gallimard
Cochonfucius said
Fleur océanique
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Un spectre végétal plane au-dessus du port,
C’est celui d’une fleur qui mourut au rivage
En un lieu que parfois la tempête ravage ;
La fleur, par temps de vent, se souvient de sa mort.
Tu la vois des pêcheurs applaudir les efforts,
Sa magique présence exalte leur courage ;
À chaque frêle nef que menace un naufrage
Elle offre de l’espoir, face à ce mauvais sort.
Lorsque le vent du Nord est plus froid que la glace,
Que vers d’autres climats les oiseaux se déplacent,
Elle apporte aux marins les rêves les plus doux.
Lorsqu’un triste noyé sur la grève repose,
Elle met du soleil sous ses paupières closes ;
Ce malheureux se dit qu’à la mort il prend goût.