Que j’aime à voir, dans la vallée
Désolée,
Se lever comme un mausolée
Les quatre ailes d’un noir moutier!
Que j’aime à voir, près de l’austère
Monastère,
Au seuil du baron feudataire,
La croix blanche et le bénitier!
Vous, des antiques Pyrénées
Les aînées,
Vieilles églises décharnées,
Maigres et tristes monuments,
Vous que le temps n’a pu dissoudre,
Ni la foudre,
De quelques grands monts mis en poudre
N’êtes-vous pas les ossements?
J’aime vos tours à tête grise,
Où se brise
L’éclair qui passe avec la brise,
J’aime vos profonds escaliers
Qui, tournoyant dans les entrailles
Des murailles,
A l’hymne éclatant des ouailles
Font répondre tous les piliers!
Oh! lorsque l’ouragan qui gagne
La campagne,
Prend par les cheveux la montagne,
Que le temps d’automne jaunit,
Que j’aime, dans le bois qui crie
Et se plie,
Les vieux clochers de l’abbaye,
Comme deux arbres de granit!
Que j’aime à voir, dans les vesprées
Empourprées,
Jaillir en veines diaprées
Les rosaces d’or des couvents!
Oh! que j’aime, aux voûtes gothiques
Des portiques,
Les vieux saints de pierre athlétiques
Priant tout bas pour les vivants!
Pour la flamme que tu allumes
Au creux d’un lit pauvre ou rupin
Pour le plaisir qui s’y consume
Dans la toile ou dans le satin
Pour les enfants que tu ranimes
Au fond des dortoirs chérubins
Pour leurs pétales anonymes
Comme la rose du matin
Thank you Satan
Pour le voleur que tu recouvres
De ton chandail tendre et rouquin
Pour les portes que tu lui ouvres
Sur la tanière des rupins
Pour le condamné que tu veilles
A l’Abbaye du monte en l’air
Pour le rhum que tu lui conseilles
Et le mégot que tu lui sers
Thank you Satan
Pour les étoiles que tu sèmes
Dans le remords des assassins
Et pour ce coeur qui bat quand même
Dans la poitrine des putains
Pour les idées que tu maquilles
Dans la tête des citoyens
Pour la prise de la Bastille
Même si ça ne sert à rien
Thank you Satan
Pour le prêtre qui s’exaspère
A retrouver le doux agneau
Pour le pinard élémentaire
Qu’il prend pour du Château Margaux
Pour l’anarchiste à qui tu donnes
Les deux couleurs de ton pays
Le rouge pour naître à Barcelone
Le noir pour mourir à Paris
Thank you Satan
Pour la sépulture anonyme
Que tu fis à Monsieur Mozart
Sans croix ni rien sauf pour la frime
Un chien, croque-mort du hasard
Pour les poètes que tu glisses
Au chevet des adolescents
Quand poussent dans l’ombre complice
Des fleurs du mal de dix-sept ans
Thank you Satan
Pour le péché que tu fais naître
Au sein des plus raides vertus
Et pour l’ennui qui va paraître
Au coin des lits où tu n’es plus
Pour les ballots que tu fais paître
Dans le pré comme des moutons
Pour ton honneur à ne paraître
Jamais à la télévision
Thank you Satan
Pour tout cela et plus encor
Pour la solitude des rois
Le rire des têtes de morts
Le moyen de tourner la loi
Et qu’on ne me fasse point taire
Et que je chante pour ton bien
Dans ce monde où les muselières
Ne sont plus faites pour les chiens…
L’invention des Arts étant un droit d’aînesse,
Nous devons l’Apologue à l’ancienne Grèce.
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner
Que les derniers venus n’y trouvent à glaner.
La feinte est un pays plein de terres désertes.
Tous les jours nos Auteurs y font des découvertes.
Je t’en veux dire un trait assez bien inventé ;
Autrefois à Racan Malherbe l’a conté.
Ces deux rivaux d’Horace, héritiers de sa Lyre,
Disciples d’Apollon, nos Maîtres, pour mieux dire,
Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins
(Comme ils se confiaient leurs pensers et leurs soins),
Racan commence ainsi : Dites-moi, je vous prie,
Vous qui devez savoir les choses de la vie,
Qui par tous ses degrés avez déjà passé,
Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé,
A quoi me résoudrai-je ? Il est temps que j’y pense.
Vous connaissez mon bien, mon talent, ma naissance.
Dois-je dans la Province établir mon séjour,
Prendre emploi dans l’Armée, ou bien charge à la Cour ?
Tout au monde est mêlé d’amertume et de charmes.
La guerre a ses douceurs, l’Hymen a ses alarmes.
Si je suivais mon goût, je saurais où buter ;
Mais j’ai les miens, la cour, le peuple à contenter.
Malherbe là-dessus : Contenter tout le monde !
Ecoutez ce récit avant que je réponde.
J’ai lu dans quelque endroit qu’un Meunier et son fils,
L’un vieillard, l’autre enfant, non pas des plus petits,
Mais garçon de quinze ans, si j’ai bonne mémoire,
Allaient vendre leur Ane, un certain jour de foire.
Afin qu’il fût plus frais et de meilleur débit,
On lui lia les pieds, on vous le suspendit ;
Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre.
Pauvres gens, idiots, couple ignorant et rustre.
Le premier qui les vit de rire s’éclata.
Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là ?
Le plus âne des trois n’est pas celui qu’on pense.
Le Meunier à ces mots connaît son ignorance ;
Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler.
L’Ane, qui goûtait fort l’autre façon d’aller,
Se plaint en son patois. Le Meunier n’en a cure.
Il fait monter son fils, il suit, et d’aventure
Passent trois bons Marchands. Cet objet leur déplut.
Le plus vieux au garçon s’écria tant qu’il put :
Oh là ! oh ! descendez, que l’on ne vous le dise,
Jeune homme, qui menez Laquais à barbe grise.
C’était à vous de suivre, au vieillard de monter.
– Messieurs, dit le Meunier, il vous faut contenter.
L’enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte,
Quand trois filles passant, l’une dit : C’est grand’honte
Qu’il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,
Tandis que ce nigaud, comme un Evêque assis,
Fait le veau sur son Ane, et pense être bien sage.
– Il n’est, dit le Meunier, plus de Veaux à mon âge :
Passez votre chemin, la fille, et m’en croyez.
Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,
L’homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe.
Au bout de trente pas, une troisième troupe
Trouve encore à gloser. L’un dit : Ces gens sont fous,
Le Baudet n’en peut plus ; il mourra sous leurs coups.
Hé quoi ! charger ainsi cette pauvre bourrique !
N’ont-ils point de pitié de leur vieux domestique ?
Sans doute qu’à la Foire ils vont vendre sa peau.
– Parbleu, dit le Meunier, est bien fou du cerveau
Qui prétend contenter tout le monde et son père.
Essayons toutefois, si par quelque manière
Nous en viendrons à bout. Ils descendent tous deux.
L’Ane, se prélassant, marche seul devant eux.
Un quidam les rencontre, et dit : Est-ce la mode
Que Baudet aille à l’aise, et Meunier s’incommode ?
Qui de l’âne ou du maître est fait pour se lasser ?
Je conseille à ces gens de le faire enchâsser.
Ils usent leurs souliers, et conservent leur Ane.
Nicolas au rebours, car, quand il va voir Jeanne,
Il monte sur sa bête ; et la chanson le dit.
Beau trio de Baudets ! Le Meunier repartit :
Je suis Ane, il est vrai, j’en conviens, je l’avoue ;
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue ;
Qu’on dise quelque chose ou qu’on ne dise rien ;
J’en veux faire à ma tête. Il le fit, et fit bien.
Quant à vous, suivez Mars, ou l’Amour, ou le Prince ;
Allez, venez, courez ; demeurez en Province ;
Prenez femme, Abbaye, Emploi, Gouvernement :
Les gens en parleront, n’en doutez nullement.
La lune rouge de rouille dessus le nuage rouge de rose,
Présents, dans l’éther, du soleil qui s’éclipse,
Qui brille pleinement sur d’autres terres à présent
Et bientôt tracera son chemin des centaines de miles
Par-delà le paisible Atlantique, ce sein tranquille.
La fumée s’élève, solide, arbre de cendres
Issu de la haute cheminée de l’abbaye. Un sycomore
Porte sur sa plus haute branche une grive qui chante,
La poitrine offerte à l’adieu du soleil enseveli.
Ces bonheurs si rares, le hasard ne les porte
Que là où l’esprit ingénieux ne se risque déjà plus,
Où l’étrange a dépassé le sens, et les laisse, seuls, à leur place.
A présent la lune s’échappe, claire, pâle, fiévreuse,
Hors de la nuée dispersée de cendres à la dérive,
Tandis qu’en mon esprit est suspendue, double absence,
La lune rouge de rouille dessus le nuage rouge de rose.
***
Double absence
The rust-red moon above the rose-red cloud,
Ethereal gifts of the absconding sun
That now is shining full on other lands
And soon will draw its track a hundred miles
Across the quiet breast of the hushed Atlantic.
The smoke grows up, solid, an ashen tree
From the high Abbey chimney. A sycamore
Holds on its topmost tip a singing thrush,
Its breast turned towards the sign of the buried sun.
Chance only brings such rare felicities
Beyond contrivance of the adventuring mind,
Strange past all meaning, set in their place alone.
Now the moon rises clear and fever pale
Out from the cloud’s dissolving drift of ashes,
While in my mind, in double absence, hangs
The rust-red moon above the rose-red cloud.
Je rêve l’Abbaye, — oh, sans abbé! —
Je rêve l’Abbaye hospitalière
A tous épris d’art plus ou moins crottés
Et déshérités…
En telle Hellade très fleurie,
Et pas pourvue d’académies,
Bien loin, je rêve l’Abbaye
Gaie et recueillie,
Où vivre libres, en thélémites passionnés!
Où vivre quelques-uns et quelques-unes,
Artistes, artisans, buveurs de lune…
Nous nous aimerions mieux que des frères;
Elles s’aimeraient mieux que des soeurs,
Et nous seraient douces comme des fleurs;
Tout n’est-il pas possible en rêve…