Puisque le souvenir du noble été s’endort,
Automne, par quel âpre et lumineux effort,
– Déjà toute fanée, abattue et moisie, –
Jetez-vous ce brûlant accent de poésie ?
Votre feuillage est las, meurtri, presque envolé.
C’est fini, la beauté des vignes et du blé ;
Le doux corps des étés en vous se décompose;
Mais vous donnez ce soir une suprême rose.
– Ah ! comme l’ample éclat de ce dernier beau jour
Soudain réveille en moi le plus poignant amour!
Comme l’âme est par vous blessée et parfumée,
Triste automne, couleur de nèfle et de fumée !
(Anna de Noailles)
Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle
Un jour, il y eut un enfant.
Il vint jouer dans mon jardin;
Il était tout à fait pâle et silencieux.
Seulement quand il sourit je sus tout de lui,
Je sus ce qu’il avait dans les poches,
Je connus la sensation de ses mains dans les miennes
Et les plus intimes accents de sa voix.
Je le menais vers chacun de mes sentiers secrets
Lui montrant la cachette de tous mes trésors.
Je le laissais jouer avec eux, chacun d’entre eux,
J’ai déposé mes pensées chantantes dans une petite cage d’argent
Et lui les donnais afîn qu’il les garde…
Il faisait très sombre dans le jardin
Mais jamais assez sombre pour nous. Sur la pointe des pieds
Nous marchions parmi les ombres les plus profondes;
Nous nous baignâmes dans les étangs d’ombres sous les arbres
Prétendant que nous étions sous la mer.
Une fois — près de la limite du jardin —
Nous entendîmes des pas passant le long de la route du Monde;
O combien nous fûmes effrayés!
Je murmurai: « As-tu déjà marché le long de cette route? »
Il hocha la tête et nous chassâmes les larmes de nos yeux…
Un jour, il y eut un enfant.
Il vint — tout à fait seul — pour jouer dans mon jardin;
Il était pâle et silencieux.
Quand nous nous rencontrâmes nous nous embrassâmes,
Mais quand il est parti, nous ne nous fîmes pas même un signe.
***
There was a child once
He came to play in my garden;
He was quite pale and silent.
Only when he smiled I knew everything about him,
I knew what he had in his pockets,
And I knew the feel of his hands in my hands
And the most intimate tones of his voice.
I led him down each secret path,
Showing him the hiding-place of all my treasures.
I let him play with them, every one,
I put my singing thoughts in a little silver cage
And gave them to him to keep…
It was very dark in the garden
But never dark enough for us. On tiptoe we walked
among the deepest shades;
We bathed in the shadow pools beneath the trees,
Pretending we were under the sea.
Once—near the boundary of the garden—
We heard steps passing along the World-road;
O how frightened we were!
I whispered `Haveyou ever walked along that road? »
He nodded, and we shook the tears from our eyes…
There was a child once.
He came—quite alone—to play in my garden;
He was pale and silent.
When we met we kissed each other,
But when he went away, we did not even wave
(Katherine Mansfield)
Recueil: Villa Pauline Autres Poèmes
Traduction: Philippe Blanchon
Editions: La Nerthe
C’est un parc aux pigeons
Et vous le croyez doux
Pensez donc!
C’est la grille d’enfer
Pour votre serviteur
songez-y!
Le parc ne lui fait peur
Mais quelques souvenirs
A haïr
Ainsi sommes-nous
Des deux côtés de cette grille
De belle herbe fraîche
Et d’arbres aérés
Vous dites que c’est doux
Que n’y suis-je!
Tandis que j’y frémis
Ah ! Dieu oui !
Car moi je ne m’en tire
Que rompu et roussi
Trop de morts et de mal
Et une nuit trop longue
Pour trop de cruauté
Et nos coeurs trop longtemps serrés
Et presque sans souffler
Trop de notre vie passé dans la terreur et dans la guerre
Jusqu’à nous avoir changés de nature
Et accablés de notre péché la fatigue
Comment décharger nos mémoires
Et les laver des fours et des gibets et de l’outrage ?
Comment revivre ?
Comment des graines dans la cendre
Dans notre âme mortelle nourrie de sable
Trop longtemps bue par le désert ?
Comment revivre ?
Comment des branches vertes
Dans le charbon des arbres calcinés ?
Il faudrait un printemps plus fort
Pour nous reprendre tout à fait
I1 faudrait nous refaire
Au lieu de ces ravines de ces fentes
Dont nous sommes en nous
Tout blanchis et ouverts
Désarmée
Attardée
En tendresse
En détresse
O ma soeur profonde
Que je te reconnais
Nous portons même cendre
Dans un pauvre sachet
Nous avons même soif
Humble et très en peine
De rejaillir et de trembler
De toutes ces fleurs du soleil
Où nos yeux ont recommencé
Vent de la vie au crin puissant
Viens attaquer
Pour en tirer
Les accents et les cris d’une pleine musique
Ces deux violons penchés
Bons pêcheurs ces filets
Allez les replonger
Dans les eaux ruisselantes
Le plus souvent, je cherche à triompher d’une peur sans nom,
en m’efforçant d’imiter la voix même de l’Ennemi.
Le poème se prête sans fin à cette poursuite d’un accent.
Quand je crois m’en être rapproché davantage, l’inquiétude se dissipe.
C’est moi qui parle: il est volé.
Il était un musicien juif,
un Alexandre Herzevitch
qui faisait tournoyer Schubert
comme un diamant pur.
Du matin jusqu’au soir — et couac !
Ressassant la ritournelle,
la même sonate éternelle
il bassinait les oreilles…
Quoi, Alexandre Herzevitch,
dehors… il fait si noir ?
Laisse, Alexandre Serce-vitch :
Là-bas ? qu’importe va !
Que l’Italienne mignonette
tant que crisse la neige
sur ses jolis traîneaux étroits
vole après Schubert là-bas…
aux accents d’une musique de ciel
la mort ne nous fait pas peur
ni même pendre à la patère,
triste pelisse de corneille…