Je saute dans la barque que m’offrent les mouvements rêveurs de la nostalgie
et je m’en vais vers mon enfance couronnée des gouttes de rosée de l’accueil.
Serait-ce donc une seconde aurore ?
Non.
C’est une veillée funèbre d’automne où un cercueil
— je sais qu’il est fait de souvenirs – me cherche comme une proie.
O forêts vierges de senteurs pures et d’yeux piqués
comme des étendards sur l’arête molle des insouciances,
O Eden où fleurit la neige de nos cris et de nos rires
et qui répètes dans ton soliloque désespéré les échos de noms doux comme des étoiles.
Je vous ai à peine traversés tant mes pieds étaient pleins d’air
et tant je réclamais le bâillon de l’adolescence !
L’évidence du blanc est aussi obscène
que l’été littoral de l’adolescence.
La chaux coagulée dans les bassins attire
les mouches que le soir n’effraie pas.
Avec un manche à balai, je les repousse
vers le fond, encore vivantes, et je les vois
disparaître dans la matière immaculée. Parfois,
lors de ces fins de journée, le vent se lève,
agite les branches des amandiers où
les fruits commencent à sécher; ici et là, les
feuilles voltigent. L’eau de la chaux acquiert
une transparence inattendue, et
un visage surgit dans son miroir : toi,
que le temps a emportée il y a longtemps, tu me regardes,
de nouveau, comme si tu n’avais jamais
cessé de le faire.
(Nuno Jùdice)
Recueil: Un chant dans l’épaisseur du temps suivi de méditation sur des ruines
Traduction: Michel Chandeigne
Editions: Gallimard
Sur la route du passé
Vois-tu venir la France ?
Quelle belle garce, la riguedondé
Dans ses beaux habits brodés
Couleur d’espérance !
Elle a les yeux étoilés
Quand elle marche, elle danse !
Forte en gueule, l’esprit salé
Quel air ! Quelle aisance !
Sur la route du passé
Vois-tu venir la France ?
Le coeur vif, le corps racé
La rigue, la riguedondé
Vive la rose rouge
Dorée comme épis de blé
Dès son adolescence
A couché la riguedondé
Avec ces rois bien râblés
La belle alliance !
Ont ma foi bien travaillé
A chaque délivrance
Accouchait d’une cité
Terre de plaisance
Terre à vignes, terre à blé
Elle a grandi, la France
En remplissant vos greniers
La rigue, la riguedondé
Vive la rose rouge et le joli bleuet
Elle a souffert, a lutté
Pour son indépendance !
A chanté la riguedondé
L’amour et la liberté
Mais désespérance !
A vu le fruit se gâter
Là, trop d’abondance
Ici, trop de pauvreté
Trop de différence
Son grand coeur
S’est révolté
Reprenant sa balance
A rêvé d’égalité
La rigue, la riguedondé
Vive la rose rouge et le joli bleuet
Qu’à mon bouquet j’ajoute
Sur la Bastille a sauté
La Carmagnole de danse
Citoyens la riguedondé
Salut et Fraternité
Vive l’espérance !
Le soleil faisait monter
La bonne semence
Mais les gros rats empestés
Ceux de la finance
Et leurs féodalités
Oh la sinistre engeance !
Ont corrompu la cité
La rigue, la riguedondé
Vive la rose rouge et le joli bleuet
A mon bouquet j’ajoute
Un brin de blanc muguet
Mais entendez-vous monter
Du fond du grand silence
Cet appel la riguedondé !
De tous les déshérités ?
Assez de souffrances !
Mur d’argent, obscénité
Ombre sur la France
On te refera sauter
Un jour, patience !
Liberté, Egalité
Ces grands noms qui t’offensent
Redeviendront vérité
La rigue la riguedondé
Alors au soleil d’été
On verra la France
Qu’elle est belle la riguedondé
Saluant l’Humanité
Marchant en cadence
A ses grands yeux étoilés
Le ciel se fiance
Elle est comme un beau voilier
Sur la mer qui danse
Terre de la liberté
Alors pour ta défense
Tous voteront sans hésiter
La rigue la riguedondé
Les jours s’écoulent
Dans des images égarées
Remonter le temps
C’est redescendre dans le passé
Où les minutes d’attente
Furent des heures d’angoisse
Je gratte le vernis
Sur des couleurs trop vives
Et oublie les moments de joie
Pour des instants de souffrance
A l’adolescence les premières amours
Causes de blessures
Jamais vraiment cicatrisées
Relèguent les jeux naïfs de l’enfance
Dans les malles du grenier
Je me souviens du temps où j´étais un poète
Je filais dans le vent sur ma motocyclette
Ma guitare sur le dos
Et la tête pleine de mots
Je m´arrêtais parfois pour cueillir une fleur
Pour cueillir une fille sur le bord d´un chemin
Ou bien lorsqu´il y avait une panne à mon moteur
Et puis je repartais un peu plus loin
Soleil ou mauvais temps c´était toujours la fête
Je dormais dans les champs parmi les pâquerettes
Me lavais dans le ruisseau
En écoutant les oiseaux
Je volais quelques fruits et c´était un festin
Le vin rouge était rare mais l´ivresse était là
Je ne mourais jamais ni de soif ni de faim
Et je ne faisais rien de mes dix doigts
Et puis de temps en temps je chantais à tue-tête
Quand ça plaisait aux gens je leur faisais la quête
Ça ne rapportait pas lourd
Mais c´était bien assez pour
Pour aller boire un verre avec tous les copains
Les amis de toujours de tous les continents
Tous les gitans tous les nomades musiciens
Et tous ceux qui vivaient de l´air du temps
Je me rappelle ce temps où j´étais un poète
J´étais adolescent ni ange ni trop bête
Ce temps-là est révolu
Je ne le reverrai plus
Et s´il m´arrive de croiser sur mon chemin
Un de ceux qui ressemblent à celui que je fus
Je lui fais un salut un signe de la main
C´est mon adolescence que je salue
Je lui fais un salut un signe de la main
Ou bien je fais semblant de ne l´avoir pas vu
Je ne suis pas, je ne suis pas de braise ardente,
je suis fait de linge et de rhumatismes,
de papiers déchirés, de rendez-vous manqués,
de modestes signes rupestres
sur ce qui fut pierres d’orgueil.
Que reste-t-il du château de la pluie,
de cette adolescence avec ses tristes rêves,
de cette intention entrouverte
d’être aile déployée, d’être un aigle en plein ciel,
une flamme héraldique?
Je ne suis pas, je ne suis pas l’éclair de feu
bleu, planté comme un javelot,
dans le coeur de quiconque échappe à l’amertume.
La vie n’est pas la pointe d’un couteau
ni le heurt d’une étoile,
elle est vieillissement dans une garde-robe,
soulier mille fois répété,
médaille qui se rouille
dans les ténèbres d’un écrin.
Je ne demande ni rose nouvelle ni douleurs,
ni indifférence, elle me consume,
chaque signe a été écrit,
le sel avec le vent effacent l’écriture
et l’âme est maintenant un tambour muet
au bord d’un fleuve, de ce fleuve
qui continuera de couler où il coulait.