contre la gorgone et
la gueule acérée de l’enfer
contre le vautour de Kali
contre la Mère terrible
et l’urne dévoreuse contre
les eaux du royaume des ombres
contre le labyrinthe et
les maléfices de la mort
le néant de tous les jours
contre la mort sur terre
amoureuse depuis toujours
abeille ô lotus petit arbre
porte-fruits porte-soleils
fille de chair enfant berceau
danseuse aux bras levés
jambes déliées seins de lait
de plaisir nombril de paresseuse
aérienne
J’écoute une voix inaudible
Sons inarticulés
Syllabes étouffées
Pourtant elle bourdonne à mes oreilles
Dimanches stagnants
Etangs d’ennui
De l’aube à minuit
Pourtant le village chante au bout du chemin
Terre aérienne
Lumière dévote
Soleil de gloire
Ciel ardent
Mais je porte un monde intérieur
Que je n’aurai pas su traduire
Et je me dissous dans un verre d’eau
Où flotte un glaçon
Figures, oh ! figures !
Et jusqu’aux aériennes faces de nuages,
figures de pierre, de chair,
tracées au crayon, au pinceau,
jaillies de la sève, branches, feuilles, figure
que trace le vol de l’hirondelle,
figure cassée d’un clochard
vous êtes toujours signes, phrases
tombées du grand écritoire invisible
– analphabète, comment ne pas s’échiner à vous lire,
ne pas en être exalté ?
Les bulles de savon que cet enfant
S’amuse à tirer d’une paille
Sont translucidement toute une philosophie
Claires, inutiles, et passagères comme la Nature.
Amies des yeux comme les choses,
Elles sont ce qu’elles sont
Selon une précision bien rondelette et aérienne,
Et personne, pas même l’enfant qui les abandonne,
Ne prétend qu’elles sont plus que ce qu’elles semblent être.
Quelques unes se voient à peine dans l’air lucide…
Elles sont comme la brise qui passe et touche à peine les fleurs
Et dont nous savons qu’elle passe pour la seule raison
Que quelque chose en nous se fait plus léger
Et accepte tout avec plus de netteté.
Quelle merveille de voir danser Yingying, et sa taille qui ondule,
Plus souple que la courtisane Saule,
Plus légère qu’hirondelle Volante.
Les grands personnages en robes de brocart
Qui festoient dans la salle d’apparat,
Pour le choix d’une danse offrent l’or à l’envie.
Elle jette un regard vers l’estrade odorante
Où les musiciens accordent leurs instruments,
Et à la faveur de la brise,
Ses pendeloques doucement frémissent.
Et voici que soudain commence la danse Nishang:
Elle s’élance, aérienne,
Au rythme progressif de ses crotales de santal.
Ses manches vaporeuses lentement retombent,
Tandis que les pas de ses lotus s’accélèrent,
Elle varie à l’infini les figures en suivant la cadence.
Il ne lui suffit pas
De renverser les murailles et ruiner les royaumes,
Elle pourrait aussi d’une seule oeillade,
Briser le coeur de dix mille hommes.
Maintenant les mots crépitent comme pin été souterrain et sauvage.
C’est un incendie blanc dans un corps abandonné.
Le chant et le sanglot se confondent dans un feu liquide, dans un cercle d’or.
Là où était la bouche ensevelie, se trouvent les lèvres proches de l’énigme vivante.
Une chevelure vibre transparente, aérienne.
Le regard c’est le silence tout entier, la lumière tout entière.
La guitare du peuple
saigne et pleure,
saigne et pleure de peine,
son bois vibre et s’agite,
sa cheville bourdonne
et son coffre se dore
de cendre, elle se drape
d’une ombre belle et triste,
enchaînée et lointaine,
la guitare du peuple.
Dense guitare pauvre,
si pauvre, voix d’autrui,
coffre roide et tenace,
nuit noire sur la cime
de ses cordes de cuivre
qui s’enchaînent au vent,
qui cernent l’air de grappes,
rapprochant sa clarté,
la guitare du peuple.
Quand elle saigne elle est
bois qui très haut se cabre,
chanterelle terrienne
sans autours ni complainte,
mancheron plein de sueur,
regard de paysanne
ne voyant ses récoltes,
vestiges de l’aurore,
la guitare du peuple.
Drapeau elle est aussi
quand le peuple le veut,
santé pour étancher
sa blessure et son sable,
graine à ensemencer,
fugace, éblouissante
quand elle chante et clame,
la guitare du peuple !
***
LA GUITARRA PUEBLERA
La guitarra pueblera
sangra y llora,
sangra y llora de pena,
se enerva su madero,
su clavija resuena,
la caja se le dora
de ceniza y se viste
de sombra hermosa, triste,
encadenada, ajena,
la guitarra pueblera.
Densa guitarra ajena,
pobre, pobre,
caja aterida y terca,
negra noche en la cima
de sus cordajes, cobre
que al viento se encadena,
que al aire se arracima,
que a su albor nos acerca,
la guitarra pueblera.
Cuando sangra es madera
que se empina,
bordons labradora
sin ámbitos ni endechas,
sudorosa mancera,
mirada campesina
que no ve sus cosechas,
despojo de la aurora,
la guitarra pueblera.
¡ Pero también bandera
cuando el pueblo lo quiere,
salud restañadora
de su herida y su arena,
grano de sementera,
fugaz, deslumbradora
cuando canta y resuena
la guitarra pueblera !