Parce que je t’aime
j’inviterai autour de ton lit
une troupe de jongleurs chinois,
qui sauront ensorceler des assiettes
et transformer d’un seul geste
et d’un sourire des voiles de soie
qui deviendront nuages et tempêtes
et d’où s’échapperont des vols de grues et de hérons…
Parce que je t’aime
je saurais découvrir pour toi
l’edelweiss et la rose noire,
la flûte de jade et la pierre de lune,
l’oiseau phénix et le rossignol de l’Empereur de Chune,
un agneau de Bethléem et le linge de Véronique.
Et toi,
toi mon amour, parce que tu ne m’aimes pas
je sais que tu m’offriras par trois fois le chant du coq,
le baiser de Judas,
la flèche et le poison,
la flûte et le cobra.
Il m’a pris dans ses mains et j’ai posé la tête
Sur le coeur du Berger ainsi qu’un agneau las.
Et j’y suis bien, sa folle et plaintive conquête,
J’y suis bien et, s’il veut, je ne bougerai pas
(Marie Noël)
Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard
Pour la flamme que tu allumes
Au creux d’un lit pauvre ou rupin
Pour le plaisir qui s’y consume
Dans la toile ou dans le satin
Pour les enfants que tu ranimes
Au fond des dortoirs chérubins
Pour leurs pétales anonymes
Comme la rose du matin
Thank you Satan
Pour le voleur que tu recouvres
De ton chandail tendre et rouquin
Pour les portes que tu lui ouvres
Sur la tanière des rupins
Pour le condamné que tu veilles
A l’Abbaye du monte en l’air
Pour le rhum que tu lui conseilles
Et le mégot que tu lui sers
Thank you Satan
Pour les étoiles que tu sèmes
Dans le remords des assassins
Et pour ce coeur qui bat quand même
Dans la poitrine des putains
Pour les idées que tu maquilles
Dans la tête des citoyens
Pour la prise de la Bastille
Même si ça ne sert à rien
Thank you Satan
Pour le prêtre qui s’exaspère
A retrouver le doux agneau
Pour le pinard élémentaire
Qu’il prend pour du Château Margaux
Pour l’anarchiste à qui tu donnes
Les deux couleurs de ton pays
Le rouge pour naître à Barcelone
Le noir pour mourir à Paris
Thank you Satan
Pour la sépulture anonyme
Que tu fis à Monsieur Mozart
Sans croix ni rien sauf pour la frime
Un chien, croque-mort du hasard
Pour les poètes que tu glisses
Au chevet des adolescents
Quand poussent dans l’ombre complice
Des fleurs du mal de dix-sept ans
Thank you Satan
Pour le péché que tu fais naître
Au sein des plus raides vertus
Et pour l’ennui qui va paraître
Au coin des lits où tu n’es plus
Pour les ballots que tu fais paître
Dans le pré comme des moutons
Pour ton honneur à ne paraître
Jamais à la télévision
Thank you Satan
Pour tout cela et plus encor
Pour la solitude des rois
Le rire des têtes de morts
Le moyen de tourner la loi
Et qu’on ne me fasse point taire
Et que je chante pour ton bien
Dans ce monde où les muselières
Ne sont plus faites pour les chiens…
Le loup querellait un agneau
Qui ne savait pas troubler l’eau ;
À tous coups l’injuste puissance
Opprime la faible innocence.
L’agneau n’alléguait rien pour sa juste défense,
Qui ne mit le loup dans son tort ;
Mais il ne savait pas qu’opprimer l’innocence,
C’est le droit du méchant, quand il est le plus fort.