Dans une petite camionnette
Suzuki il a allongé sa femme
morte, bien arrangé ses vêtements
comme si elle dormait.
Posé sur la banquette, plus haut,
le sac de pain
qu’elle était allée chercher
pour que les enfants mangent ce jour-là
et pour que sa mort
serve à quelque chose.
(Maram al-Masri)
Recueil: Elle va nue la liberté
Editions: Bruno Doucey
le soir aux veines transparentes
passe le long des fenêtres
nulle aumône de ce côté
on prépare des feux
les tapis s’allongent dans un grand désir
la face des pendules jaunit
c’est bientôt la mort du temps
la nuit prend le galbe des cygnes
Allongé sur le sable on dirait qu’il dort
Il est beau et très calme dans le froid qui mord
C’est un guerrier nomade, un homme du désert
Qui est couché dans le sable les yeux grands ouverts
Jusqu’où vont les nomades plus loin que la mort
Dans le chant des étoiles y’a le mirador
A quoi rêvent les nomades sous le ciel ouvert
A des pur-sang arabes écumant la mer.
Reste dans ton rêve, c’est peut-être mieux
Mais le jour se lève et en plein milieu
Il y a la frontière.
La violence est silence,
Silence est désert
Sentinelles de sable tournés vers la mer
Tirez sur tout ce qui bouge, même sur la poussière
Tirez sur le soleil rouge qui meurt dans la mer.
Qui partage les pierres, les jungles et le sable
Qui a mis l’univers à plat sur la table
Qui a peur de son ombre et qui fait la guerre
Mais déjà le vent efface ton nom sur la pierre.
Couché sur le sable, on dirait qu’il dort
Mais pour un nomade, c’est après la mort
Qu’y a plus de frontière.
Où est la frontière?
Où est la frontière?
Pour qui la frontière?
C’est loin la frontière?
Pourquoi la frontière?
C’est loin la frontière?
Où est la frontière?
(Bernard Lavilliers)
Recueil: Frontières Petit atlas poétique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Je suis allongé chez une étrange nana.
Elle est brûlée par le sumac et le soleil
et elle est malheureuse
Elle va et vient,
lointains mouvements de vers solennels.
Elle ouvre et ferme les choses.
Elle fait couler de l’eau,
elle arrête de faire couler de l’eau.
Tous les sons qu’elle émet sont éloignés.
Ils pourraient être dans une ville différente.
C’est le crépuscule et les gens regardent
par les fenêtres de cette ville.
Leurs yeux sont emplis des sons
de ce qu’elle fait.
***
I Lie Here in a Strange Girl’s Apartment
For Marcia
I lie here in a strange girl’s apartment.
She has poison oak, a bad sunburn
and is unhappy.
She moves about the place
like distant gestures of solemn glass.
She opens and closes things.
She turns the water on,
and she turns the water off.
All the sounds she makes are faraway.
They could be in a different city.
It is dusk and people are staring
out the windows of that city.
Their eyes are filled with the sounds
of what she is doing.
(Richard Brautigan)
Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral
Il y a de la poésie par terre sur le parquet brillant
Le poète c’est le frotteur
Il écrit avec de la cire
Et quand il a bien effacé son écriture
Au rythme allongé de sa brosse
Le frotteur s’en va
Et sa poésie brille
(Pierre Albert Birot)
Recueil: Pff! ça sert à quoi la poésie ?!
Traduction:
Editions: Rue du Monde
L’odeur de mon pays était dans une pomme.
Je l’ai mordue avec les yeux fermés du somme,
Pour me croire debout dans un herbage vert.
L’herbe haute sentait le soleil et la mer,
L’ombre des peupliers y allongeait des raies,
Et j’entendais le bruit des oiseaux, plein les haies,
Se mêler au retour des vagues de midi.
Je venais de hocher le pommier arrondi,
Et je m’inquiétais d’avoir laissé ouverte
Derrière moi, la porte au toit de chaume mou ..
Combien de fois, ainsi, l’automne rousse et verte
Me vit-elle, au milieu du soleil et debout,
Manger, les yeux fermés, la pomme rebondie
De tes prés, copieuse et forte Normandie ?…
Ah ! je ne guérirai jamais de mon pays !
N’est-il pas la douceur des feuillages cueillis
Dans leur fraîcheur, la paix et toute l’innocence ?
Et qui donc a jamais guéri de son enfance ?…
Dans un village dévasté par la guerre
un homme à demi nu
que trois silhouettes enturbannées allongent
sur une couverture ocre
la photo est dans le journal
belle comme une déposition de croix
du Quattrocento
Mes doigts retiennent la lumière
Qui allonge l’ombre
Des murs de la maison
Qui sombre dans l’herbe
Les arbres posent des taches vertes
Sur la page de la plaine
Où court l’écriture du silence
Tapie dans les nuages
Quel cri pousse la maison
Heureuse de me revoir
Elle me regarde de tous ses carreaux
Puis baisse ses volets
Sous un toit silencieux
Qui efface sur ses ardoises
Les traces de la pluie
Et les empreintes des pattes des oiseaux
Qui vont vers des ailleurs
Où jamais je n’irais
Une brise venue d’ailleurs
Lèche sa façade
Et j’entends comme des petits rires
Dans le nylon des rideaux