J’extirpe de mon coeur des morceaux de silence.
Je compose des vers jusqu’au dernier frimas
De l’aube, comme si j’avais peur des gravats
De la Nuit, comme si j’avais des turbulences
Dans ma tête… J’écris ces bribes de douleurs,
Cet impalpable mal qui va jusqu’aux fatigues
Du corps et puis de l’âme, au-delà de ces digues
Qui retiennent la vie avant qu’il ne l’effleure
Comme ce cloître de rochers
qui nous paraît s’effilocher
en fils d’aragne de nuages,
ainsi nos âmes consumées
en qui l’illusion avive
un feu de cendres
se perdent vers l’azur serein
de la lumière, certitude.
***
Come quella chiostra di rupi
che sembra sfilaccicarsi
in ragnatele di nubi;
tali i nostri animi arsi
in cui l’illusione brucia
un fuoco pieno di cenere
si perdono nel sereno
di una certezza : la luce.
Egaré dans l’espace
En extase sous l’orage
J’erre entre l’abîme du désir
Et la cime du plaisir
La clé m’ouvre un chemin
Qui m’emporte tout droit
Sous un ciel bleu foncé
Vers la porte où je frappe
Mon corps libéré de mon âme
Que brûle le ridicule feu de l’enfer
Retrouve le paradis des sens
Avant de rôtir dans les flammes.
Le vent, tiède éclaireur de l’assaut du printemps,
Soulève un brouillard vert de bourgeons dans les branches.
La pluie et le soleil, le calme et les autans,
Les bois noirs sur le ciel, la neige en bandes blanches,
Alternent. La nature a comme dix-sept ans,
Jeune fille énervée, oscillant sur ses hanches,
Riant, pleurant, selon ses caprices flottants.
Pas encor le printemps, mais ce n’est plus l’hiver.
Votre âme, ô ma charmante, a ces heures mêlées.
Les branches noires sont pleines d’un brouillard vert.
Les mots méchants et les paroles désolées,
Sur vos lèvres, bouton d’églantine entrouvert,
Cessent à mes baisers. Ainsi les giboulées
Fondent, et le gazon s’émaille à découvert.
Votre moue est changée en rire à mes baisers,
Comme la neige fond, pâle retardataire,
Aux triomphants rayons du soleil. Apaisés,
Vos yeux, qui me jetaient des regards de panthère,
Sont bien doux maintenant. Chère, vous vous taisez
Comme le vent neigeux et froid vient de se taire.
Votre joue et le soir sont tièdes et rosés.
Tu as les yeux pers des champs de rosées
tu as des yeux d’aventure et d’années-lumière
la douceur du fond des brises au mois de mai
dans les accompagnements de ma vie en friche
avec cette chaleur d’oiseau à ton corps craintif
moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
moi je fonce à vive allure et entêté d’avenir
la tête en bas comme un bison dans son destin
la blancheur des nénuphars s’élève jusqu’à ton cou
pour la conjuration de mes manitous maléfiques
moi qui ai des yeux où ciel et mer s’influencent
pour la réverbération de ta mort lointaine
avec cette tache errante de chevreuil que tu as
tu viendras tout ensoleillée d’existence
la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
le corps mûri par les jardins oubliés
où tes seins sont devenus des envoûtements
tu te lèves, tu es l’aube dans mes bras
où tu changes comme les saisons
je te prendrai marcheur d’un pays d’haleine
à bout de misères et à bout de démesures
je veux te faire aimer la vie notre vie
t’aimer fou de racines à feuilles et grave
de jour en jour à travers nuits et gués
de moellons nos vertus silencieuses
je finirai bien par te rencontrer quelque part
bon dieu!
et contre tout ce qui me rend absent et douloureux
par le mince regard qui me reste au fond du froid
j’affirme ô mon amour que tu existes
je corrige notre vie
nous n’irons plus mourir de langueur
à des milles de distance dans nos rêves bourrasques
des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres
les épaules baignées de vols de mouettes
non
j’irai te chercher nous vivrons sur la terre
la détresse n’est pas incurable qui fait de moi
une épave de dérision, un ballon d’indécence
un pitre aux larmes d’étincelles et de lésions profondes
frappe l’air et le feu de mes soifs
coule-moi dans tes mains de ciel de soie
la tête la première pour ne plus revenir
si ce n’est pour remonter debout à ton flanc
nouveau venu de l’amour du monde
constelle-moi de ton corps de voie lactée
même si j’ai fait de ma vie dans un plongeon
une sorte de marais, une espèce de rage noire
si je fus cabotin, concasseur de désespoir
j’ai quand même idée farouche
de t’aimer pour ta pureté
de t’aimer pour une tendresse que je n’ai pas connue
dans les giboulées d’étoiles de mon ciel
l’éclair s’épanouit dans ma chair
je passe les poings durs au vent
j’ai un coeur de mille chevaux-vapeur
j’ai un coeur comme la flamme d’une chandelle
toi tu as la tête d’abîme douce n’est-ce pas
la nuit de saule dans tes cheveux
un visage enneigé de hasards et de fruits
un regard entretenu de sources cachées
et mille chants d’insectes dans tes veines
et mille pluies de pétales dans tes caresses
tu es mon amour
ma clameur mon bramement
tu es mon amour ma ceinture fléchée d’univers
ma danse carrée des quatre coins d’horizon
le rouet des écheveaux de mon espoir
tu es ma réconciliation batailleuse
mon murmure de jours à mes cils d’abeille
mon eau bleue de fenêtre
dans les hauts vols de buildings
mon amour
de fontaines de haies de ronds-points de fleurs
tu es ma chance ouverte et mon encerclement
à cause de toi
mon courage est un sapin toujours vert
et j’ai du chiendent d’achigan plein l’âme
tu es belle de tout l’avenir épargné
d’une frêle beauté soleilleuse contre l’ombre
ouvre-moi tes bras que j’entre au port
et mon corps d’amoureux viendra rouler
sur les talus du mont Royal
orignal, quand tu brames orignal
coule-moi dans ta plainte osseuse
fais-moi passer tout cabré tout empanaché
dans ton appel et ta détermination
Montréal est grand comme un désordre universel
tu es assise quelque part avec l’ombre et ton coeur
ton regard vient luire sur le sommeil des colombes
fille dont le visage est ma route aux réverbères
quand je plonge dans les nuits de sources
si jamais je te rencontre fille
après les femmes de la soif glacée
je pleurerai te consolerai
de tes jours sans pluies et sans quenouilles
des circonstances de l’amour dénoué
j’allumerai chez toi les phares de la douceur
nous nous reposerons dans la lumière
de toutes les mers en fleurs de manne
puis je jetterai dans ton corps le vent de mon sang
tu seras heureuse fille heureuse
d’être la femme que tu es dans mes bras
le monde entier sera changé en toi et moi
la marche à l’amour s’ébruite en un voilier
de pas voletant par les lacs de portage
mes absolus poings
ah violence de délices et d’aval
j’aime
que j’aime
que tu t’avances
ma ravie
frileuse aux pieds nus sur les frimas de l’aube
par ce temps profus d’épilobes en beauté
sur ces grèves où l’été
pleuvent en longues flammèches les cris des pluviers
harmonica du monde lorsque tu passes et cèdes
ton corps tiède de pruche à mes bras pagayeurs
lorsque nous gisons fleurant la lumière incendiée
et qu’en tangage de moisson ourlée de brises
je me déploie sur ta fraîche chaleur de cigale
je roule en toi
tous les saguenays d’eau noire de ma vie
je fais naître en toi
les frénésies de frayères au fond du coeur d’outaouais
puis le cri de l’engoulevent vient s’abattre dans ta gorge
terre meuble de l’amour ton corps
se soulève en tiges pêle-mêle
je suis au centre du monde tel qu’il gronde en moi
avec la rumeur de mon âme dans tous les coins
je vais jusqu’au bout des comètes de mon sang
haletant
harcelé de néant
et dynamité
de petites apocalypses
les deux mains dans les furies dans les féeries
ô mains
ô poings
comme des cogneurs de folles tendresses
mais que tu m’aimes et si tu m’aimes
s’exhalera le froid natal de mes poumons
le sang tournera ô grand cirque
je sais que tout mon amour
sera retourné comme un jardin détruit
qu’importe je serai toujours si je suis seul
cet homme de lisière à bramer ton nom
éperdument malheureux parmi les pluies de trèfles
mon amour ô ma plainte
de merle-chat dans la nuit buissonneuse
ô fou feu froid de la neige
beau sexe léger ô ma neige
mon amour d’éclairs lapidée
morte
dans le froid des plus lointaines flammes
puis les années m’emportent sens dessus dessous
je m’en vais en délabre au bout de mon rouleau
des voix murmurent les récits de ton domaine
à part moi je me parle
que vais-je devenir dans ma force fracassée
ma force noire du bout de mes montagnes
pour te voir à jamais je déporte mon regard
je me tiens aux écoutes des sirènes
dans la longue nuit effilée du clocher de Saint-Jacques
et parmi ces bouts de temps qui halètent
me voici de nouveau campé dans ta légende
tes grands yeux qui voient beaucoup de cortèges
les chevaux de bois de tes rires
tes yeux de paille et d’or
seront toujours au fond de mon coeur
et ils traverseront les siècles
je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi
lentement je m’affale de tout mon long dans l’âme
je marche à toi, je titube à toi, je bois
à la gourde vide du sens de la vie
à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud
à ces taloches de vent sans queue et sans tête
je n’ai plus de visage pour l’amour
je n’ai plus de visage pour rien de rien
parfois je m’assois par pitié de moi
j’ouvre mes bras à la croix des sommeils
mon corps est un dernier réseau de tics amoureux
avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus
je n’attends pas à demain je t’attends
je n’attends pas la fin du monde je t’attends
dégagé de la fausse auréole de ma vie tends
dégagé de la fausse auréole de ma vie
Le bonheur est en moi comme une eau si tranquille
Que le jour et la nuit n’y mêlent plus leurs eaux
Plus dur que les rochers, plus tremblant que les îles
Comme un bateau s’en va sur deux sillons de laine
Comme un lourd front d’auroch qui partage les eaux
Le bonheur est en moi comme une flûte d’aube
Qui s’allume et s’endort, ô ma rainette d’eau
Ma rainette d’eau claire sur les rives d’argile,
Ce bonheur caressé comme une harpe d’eau.
Douce tête sans nid, douce tête sans rides
Épaule du sommeil, vague au faîte des arbres
Tous les sommeils chantaient en moi comme les eaux
Pour se poser la lune écarte les roseaux
Je retrouve avec toi les printemps éternels
L’arôme des rosiers, les murmures des masques
Les oiseaux sont couchés sur la paille du ciel
Et ton coeur lentement chuchote jusqu’à moi
Doux comme une souris dans le palais des livres
Le rire silencieux de l’herbe déserte
Tout m’entraîne vers toi, tout conspire à ta perte
Ame fraîche, éblouie sous cette averse d’or.
Le bon silence, c’est celui de l’écoute,
celui de l’ouverture de l’âme à l’art, à la lumière et à la nuit,
à la parole initale
dont toutes les autres ont pu sortir dans la durée d’une vie.
Le roi David, dans un psaume, remercie Dieu
de lui avoir profondément « creusé l’oreille ».
Retrait en nous, caché derrière le voile des formes,
des images, des événements fugitifs,
s’abrite le lieu de toute confiance
et de plénitude dans le repos
-parfois je l’appelle le lac de la rosée-,
d’où jaillit, hors du silence,
la possibilité de la perception des choses,
et de la parole en même temps.
(Claude Vigée)
Recueil: Dans le silence de l’Aleph
Traduction:
Editions:Albin Michel