Mon cœur et mon âme,
Si tu veux je te les donne,
Et tout ce qui éclôt en moi
Est suspendu au-dessus de toi
Comme un espalier,
Se courbant pour que tu le cueilles.
Je suis gerbe bonne à lier,
Je suis vendange pour ta corbeille,
Je suis fruit pour ton panier,
Je suis ombre sur ton sommeil,
Mais laisse-moi t’accompagner.
Comme les nuages du ciel,
Comme l’eau que tu côtoies,
Je t’accompagne et je te veille,
O toi,
Car ton chemin est toujours le mien :
Et je veux bien n’être qu’un objet
Pourvu qu’il soit près de ta main,
Et je veux bien n’être qu’une fumée
Pourvu qu’elle t’amuse,
Et je veux bien n’être qu’un rien
Si tu as envie d’un rien,
Et je veux être toute chose
Pourvu que ton rêve s’y pose.
Une machine à faire du bruit,
qui s’ébroue et supplie et proclame,
pas seulement pour vous faire taire,
peut-être pas pour m’amuser,
construite en mots dépaysés
pour se décolorer l’un par l’autre,
pour entrer dans l’épais du grain
pour y trouer tous les grains,
pour y passer par les trous
pour y pomper l’eau imprenable
dont le courant gronde sans bruit,
machine à capter ce silence
pour vous en mettre dans l’oreille
à grands coups d’ailes inutiles.
(André Frénaud)
Recueil: Il n’y a pas de paradis
Traduction:
Editions: Gallimard
Pour plus d’agilité, pour le loyal duel,
Les témoins ont jugé qu’Elles se battraient nues.
Les causes du combat resteront inconnues;
Les deux ont dit : Motif tout individuel.
La blonde a le corps blanc, plantureux, sensuel;
Le sang rougit ses seins et ses lèvres charnues.
La brune a le corps d’ambre et des formes ténues;
Les cheveux noirs-bleus font ombre au regard cruel.
Cette haie où l’on a jeté chemise et robe,
Ce corps qui tour à tour s’avance ou se dérobe,
Ces seins dont la fureur fait se dresser les bouts,
Ces battements de fer, ces sifflantes caresses,
Tout paraît amuser ce jeune homme à l’oeil doux
Qui fume en regardant se tuer ses maîtresses.
(Charles Cros)
Recueil: Le Collier de griffes
Traduction:
Editions: Gallimard
C´est une jolie bande de joyeux fêtards
Qui se couchent à l´aurore et se lèvent très tard
Ne pensant qu´à aimer ou jouer de la guitare
Ils n´ont dans la vie que cette philosophie
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Ils ne font rien de plus que fêter chaque instant
Saluer la pleine lune, célébrer le printemps
Si bien qu´pour travailler ils n´ont plus guère le temps
Ils n´ont dans la vie que cette philosophie
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Et je me reconnais en eux assez souvent
Comme eux je gaspille ma vie à tous les vents
Et je me dis qu´ils sont mes frères ou mes enfants
Ils n´ont dans la vie que cette philosophie
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
S´ils passent parmi vous, regardez-les bien vivre
Et comme eux soyez fous, et comme eux soyez ivres
Car leur seule folie, c´est vouloir être libres
Ils n´ont dans la vie que cette philosophie
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Ils vieilliront aussi qu´ils restent ce qu´ils sont
Des viveurs d´utopie aux étranges façons
Des amants, des poètes, des faiseurs de chansons
Ils n´ont dans la vie que cette philosophie
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer…
Pour qui est ce monde?
Pour nous?
Mais à peine arrivés,
nous ne songeons qu’à nous distraire,
qu’à nous arracher au lourd ennui de vivre,
au poids des heures monotones.
Pour Dieu ?
Mais quel est le Dieu,
qu’un tel spectacle amuse ?
(Henri Cazalis)
Recueil: Le livre du Néant
Editions: Alphonse Lemerre