Au mois de mai j’avais le cœur si grand
Que pour l’emplir je me suis en allée
Cherchant l’amour sans savoir quelle allée,
Pour le rencontrer, quel chemin on prend…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du printemps, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
J’allais, j’allais. Où trouver de l’amour ?
Au bas de la côte, au faîte, derrière ?
Au fond du bois, au bout de la rivière ?
Ici, là-bas, à ce prochain détour ?…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
De l’été, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
Quand je le vis, je n’osai pas à temps
M’en approcher ou lui faire une avance;
Je l’attendais ouvrant mon cœur immense…
Il n’est tombé qu’une goutte dedans…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du soleil, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
Est-ce là tout, cette goutte, est-ce tout ?
Je voudrais bien recommencer l’année,
La goutte d’eau qui m’était destinée,
Je voudrais bien la boire encore un coup…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Des feuilles, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
Est-ce bien tout ?… Peut-être, dans un coin
Que j’oubliai, peut-être avant la neige,
Un peu d’amour encor le trouverai-je,
Peut-être ici, peut-être un peu plus loin…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du bonheur, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
(Marie Noël)
Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers
Une fois, presque à la fin de la journée,
elle (ma nourrice) m’a conduite très loin,
au bord du monde, dans un champ mystérieux
où nous avons coupé avec la faucille
de grandes fougères.
Je n’ai jamais retrouvé ce champ.
Il n’avait pas d’entrée.
Mais un bonheur était dedans,
sur le bord du soleil qui allait partir.
Comment étions-nous venues là
toutes les deux,
sans route ni sentier?
*
Quand viendra le soir, au bout des années
Où, l’épaule basse et les yeux rougis,
Je ne serai plus, traînante et fanée,
Qu’une vieille en trop qui vague au logis.
Alors, quand le jour hésite et décline,
Comme une étrangère à jamais qui part,
A jamais… alors, comme une orpheline
Dont le cri n’a plus d’abri nulle part,
Je m’en irai seule avec mon pauvre âge
Qui n’a plus ni chant, ni charme, ni fleur,
Je m’en irai seule à la mort sauvage,
Sans faire alentour ni bruit ni malheur.
J’irai retrouver le pré seul au monde
0ù je traversai, petite, un bonheur
Que nul autre pré ne sut à la ronde,
Le champ oublié de tous les faneurs;
Le champ égaré depuis mon enfance
Que les bois au fond de leur secret noir
Ont si loin serré dans un grand silence
Que nul sentier clair n’a su le revoir.
Là se tient la fleur qui n’est pas sortie
Pour d’autres que moi dans mon prime temps.
Peut-être en ce champ, derrière l’ortie,
Que l’oiseau de l’aube à mi-ciel m’attend?
J’entrerai dedans sans bouquet ni gerbe,
La fleur et l’oiseau perdus y seront.
Je m’enfermerai dans ma chambre d’herbe…
Ce que j’y viens faire, eux seuls le sauront.
…….
Pas à pas le temps faible qui persiste
A battre en mon coeur sans savoir pourquoi
Sortira du monde… Et les feuilles tristes
Qui meurent le soir tomberont sur moi.
(Marie Noël)
Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers
J’ai eu tort, je suis revenue dans cette ville au loin perdue
Où j’avais passé mon enfance
J’ai eu tort, j’ai voulu revoir le coteau où glissait le soir
Bleu et gris, ombres de silence
Et j’ai retrouvé comme avant
Longtemps après
Le coteau, l’arbre se dressant
Comme au passé
J’ai marché les tempes brûlantes
Croyant étouffer sous mes pas
Les voies du passé qui nous hantent
Et reviennent sonner le glas
Et je me suis couchée sous l’arbre
Et c’était les mêmes odeurs
Et j’ai laissé couler mes pleurs
Mes pleurs
J’ai mis mon dos nu à l’écorce, l’arbre m’a redonné des forces
Tout comme au temps de mon enfance
Et longtemps j’ai fermé les yeux, je crois que j’ai prié un peu
Je retrouvais mon innocence
Avant que le soir ne se pose
J’ai voulu voir
La maison fleurie sous les roses
J’ai voulu voir
Le jardin où nos cris d’enfants
Jaillissaient comme source claire
Jean-claude et Régine et puis Jean
Tout redevenait comme hier
Le parfum lourd des sauges rouges
Les dahlias fauves dans l’allée
Le puits, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas
La guerre nous avait jeté là, d’autres furent moins heureux je crois
Au temps joli de leur enfance
La guerre nous avait jeté là, nous vivions comme hors-la-loi
Et j’aimais cela quand j’y pense
Oh mes printemps, oh mes soleils, oh mes folles années perdues
Oh mes quinze ans, oh mes merveilles
Que j’ai mal d’être revenue
Oh les noix fraîches de septembre
Et l’odeur des mûres écrasées
C’est fou, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas
Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs
Du temps béni de son enfance
Car parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires
Ceux de l’enfance nous déchirent
Oh ma très chérie, oh ma mère, où êtes-vous donc aujourd’hui?
Vous dormez au chaud de la terre
Et moi je suis venue ici
Pour y retrouver votre rire
Vos colères et votre jeunesse
Et je reste seule avec ma détresse
Hélas
Pourquoi suis-je donc revenue et seule au détour de ces rues
J’ai froid, j’ai peur, le soir se penche
Pourquoi suis-je venue ici, où mon passé me crucifie
Et ne dort jamais mon enfance?
(Monique Serf)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
Et un jour, alors qu’ils étaient assis
dans les longues ombres des peupliers blancs,
l’un dit : « Maître, j’ai peur du temps.
Il nous dépasse et nous dérobe notre jeunesse,
mais que donne-t-il en retour ? »
Et le Prophète répondit ceci :
« Ramasse maintenant une poignée de bonne terre.
Y trouves-tu une graine et peut-être un ver ?
Si ta main était suffisamment grande et patiente,
la graine deviendrait une forêt et le ver un troupeau d’anges.
Et n’oublie pas que les années qui transforment les graines en forêts
et les vers en anges, appartiennent à ce Maintenant.
Toutes ces années découlent de ce Maintenant. »
(Khalil Gibran)
Recueil: Le Secret
Traduction: Anahita Gouya
Editions: J’ai lu
Comme il est étrange et saisissant
Que chaque nuit, sans cesse,
Coule la fontaine discrète
Dans l’ombre fraîche des érables,
Et encore et toujours, tel un parfum,
S’étale le clair de lune sur les toits,
Et par les airs, frais et sombres,
Vole l’essaim léger des nuages.
Tout cela existe, est bien réel,
Mais nous, errants, reposons une nuit,
Puis repartons par les champs,
Et nul ne pense plus à nous.
Bien plus tard, des années après peut-être,
Un rêve en nous évoque la fontaine,
La porte et le toit, et comme tout était là,
Et comme maintenant et longtemps encore tout sera là.
C’est en nous un petit jardin familier,
Et pourtant il n’y eut qu’une halte brève,
Un toit étranger pour l’hôte inconnu,
Il ignore la ville et le nom.
Comme il est étrange et saisissant
Que chaque nuit, sans cesse,
Coule la fontaine discrète
Dans l’ombre fraîche des érables…
(Hermann Hesse)
Recueil: L’Allemagne en Poésie
Traduction: Rémi Laureillard
Editions: Folio Junior
Le vieux est là
Muet comme une souche
Il attend que le nuage passe
Ses outils sont comme des promesses
Un supplément de force
Malgré les années
Chaque muscle est à sa place
Pour faucher
Bêcher
Ratisser
Je regarde ma main
Pas un pli
La finesse des doigts qui ne trompe pas
Elle n’a donc servi à rien
Le vieux ne me le dit pas
Trop brave
Sa poigne montre l’exemple
Mes pas deviennent les siens
Je suis vite à la traîne
Sans un mot
Le voilà qui porte deux fois plus que moi
J’ai vu la ville de près ses fulgurances
Ses éclats mystiques
Ses passions au rabais
Rastignac du pauvre
J’ai croisé le fer avec elle
Ne blessant que moi-même
Le vieux n’a rien vu lui
Aucune lutte
Une simple ligne d’horizon
Des remparts de forêts sous un ciel vide
Il ne goûtera jamais à l’ennui qui élève
Aux délices de la foule
Son champ sera sa seule ivresse
Et pourtant lui en a palpé de la terre
Sué pour la rendre fertile
Son nom restera une empreinte
Que laisserai-je dans le bitume ?
Des projets froissés
Des rêves léthargiques…
Au loin je vois des tours
Les murs se rapprochent
Que restera-t-il du vieux
Quand même les arbres alentour seront maigres comme mes dix doigts ?
(Grégory Rateau)
Recueil: Conspiration du réel
Traduction:
Editions: Unicité