Du plus loin, que me revienne,
L´ombre de mes amours anciennes,
Du plus loin, du premier rendez-vous,
Du temps des premières peines,
Lors, j´avais quinze ans, à peine,
Cœur tout blanc, et griffes aux genoux,
Que ce furent, j´étais précoce,
De tendres amours de gosse,
Ou les morsures d´un amour fou,
Du plus loin qu´il m´en souvienne,
Si depuis, j´ai dit « je t´aime »,
Ma plus belle histoire d´amour, c´est vous,
C´est vrai, je ne fus pas sage,
Et j´ai tourné bien des pages,
Sans les lire, blanches, et puis rien dessus,
C´est vrai, je ne fus pas sage,
Et mes guerriers de passage,
A peine vus, déjà disparus,
Mais à travers leur visage,
C´était déjà votre image,
C´était vous déjà et le cœur nu,
Je refaisais mes bagages,
Et poursuivais mon mirage,
Ma plus belle histoire d´amour, c´est vous,
Sur la longue route,
Qui menait vers vous,
Sur la longue route,
J´allais le cœur fou,
Le vent de décembre,
Me gelait au cou,
Qu´importait décembre,
Si c´était pour vous,
Elle fut longue la route,
Mais je l´ai faite, la route,
Celle-là, qui menait jusqu´à vous,
Et je ne suis pas parjure,
Si ce soir, je vous jure,
Que, pour vous, je l´eus faite à genoux,
Il en eut fallu bien d´autres,
Que quelques mauvais apôtres,
Que l´hiver ou la neige à mon cou,
Pour que je perde patience,
Et j´ai calmé ma violence,
Ma plus belle histoire d´amour, c´est vous,
Mais tant d’hiver et d’automne
De nuit, de jour, et personne,
Vous n´étiez jamais au rendez-vous,
Et de vous, perdant courage,
Soudain, me prenait la rage,
Mon Dieu, que j´avais besoin de vous,
Que le Diable vous emporte,
D´autres m´ont ouvert leur porte,
Heureuse, je m´en allais loin de vous,
Oui, je vous fus infidèle,
Mais vous revenais quand même,
Ma plus belle histoire d´amour, c´est vous,
J´ai pleuré mes larmes,
Mais qu´il me fut doux,
Oh, qu´il me fut doux,
Ce premier sourire de vous,
Et pour une larme,
Qui venait de vous,
J´ai pleuré d´amour,
Vous souvenez-vous?
Ce fut, un soir, en septembre,
Vous étiez venus m´attendre,
Ici même, vous en souvenez-vous?
A vous regarder sourire,
A vous aimer, sans rien dire,
C´est là que j´ai compris, tout à coup,
J´avais fini mon voyage,
Et j´ai posé mes bagages,
Vous étiez venus au rendez-vous,
Qu´importe ce qu´on peut en dire,
Je tenais à vous le dire,
Ce soir je vous remercie de vous,
Qu´importe ce qu´on peut en dire,
Je suis venue pour vous dire,
Ma plus belle histoire d´amour, c´est vous…
Loin du monde, il s’enivre de sa poésie.
Le monde, pour l’aède, est la belle chanson
des vers. Il a reçu, don de sa Fantaisie,
sans matière, immuable, une fière maison.
Vous direz : « Quelle vie froide et vaine ! Ô folie,
croire que notre vie se résume aux doux sons
de la flûte et rien d’autre ! » ou « Celui qui oublie
du combat pour la vie les austères leçons
a le coeur sec. » C’est un avis injuste et vain.
La Nature pour lui est un être divin.
La raison, cette aveugle, à grand tort vous convainc.
Sa maison a des murs d’émeraude magique.
« Sois sans crainte », y murmurent des voix angéliques ;
« pense, chante et sois fort, toi, l’apôtre mystique ! »
(Constantin Cavàfis)
Recueil: Tous les poèmes
Traduction: Michel Volkovitch
Editions: Le miel des Anges
Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d’étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d’amour
11s n’ont pas de recommandations à se faire
Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus
L’un d’eux pense à un petit village
Où il allait à l’école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au-dessus de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé 1à ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque la liberté se survit.
Ma petite compatriote,
M’est avis que veniez ce soir
Frapper à ma porte et me voir.
Ô la scandaleuse ribote
De gros baisers et de petits
Conforme à mes gros appétits?
Mais les vôtres sont si mièvres?
Primo, je baiserai vos lèvres,
Toutes, c’est mon cher entremets,
Et les manières que j’y mets,
Comme en tant de choses vécues,
Sont friandes et convaincues!
Vous passerez vos doigts jolis
Dans ma flave barbe d’apôtre,
Et je caresserai la vôtre.
Et sur votre gorge de lys,
Où mes ardeurs mettront des roses,
Je poserai ma bouche en feu.
Mes bras se piqueront au jeu,
Pâmés autour de bonnes choses
De dessous la taille et plus bas.
Puis mes mains, non sans fols combats
Avec vos mains mal courroucées
Flatteront de tendres fessées
Ce beau derrière qu’étreindra
Tout l’effort qui lors bandera
Ma gravité vers votre centre.
A mon tour je frappe. Ô dis: Entre!
Ô corps tout secoué de prochaines musiques !
Lié contre la table où pèse ton sang noir,
laisse-toi transporter d’un rire dramatique
et de honteuse ardeur embellis ton espoir.
Fils indigne de l’or natal, apôtre étrange,
je désire la mer mon patrimoine bleu ;
j’épuise tous mes cris dans les ailes d’un ange,
je tente d’acquérir la sagesse du feu.
Ah ! que craindrait mon corps du printemps sur la terre ?
Je vendange ma vigne avec gloire et colère,
mon amour a repris la face de la nuit.
– Et dans le bruit mortel que fait l’aube criante
voici ! Je reconnais, généreuse et riante,
la Muse au coeur flambant, la porteuse de fruits !
Simone, le moulin est très ancien : ses roues,
Toutes vertes de mousse, tournent au fond d’un grand trou :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Les murs tremblent, on a l’air d’être sur un bateau
À vapeur, au milieu de la nuit et de l’eau :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Il fait noir ; on entend pleurer les lourdes meules,
Qui sont plus douces et plus vieilles que des aïeules :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Les meules sont des aïeules si vieilles et si douces
Qu’un enfant les arrête et qu’un peu d’eau les pousse :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Elles écrasent le blé des riches et des pauvres,
Elles écrasent le seigle aussi, l’orge et l’épeautre :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Elles sont aussi bonnes que les plus grands apôtres,
Elles font le pain qui nous bénit et qui nous sauve :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Elles nourrissent les hommes et les animaux doux,
Ceux qui aiment notre main et qui meurent pour nous :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Elles vont, elles pleurent, elles tournent, elles grondent,
Depuis toujours, depuis le commencement du monde :
On a peur, les roues passent, les roues tournent
Comme pour un supplice éternel.
Simone, le moulin est très ancien : ses roues,
Toutes vertes de mousses, tournent au fond d’un grand trou.