La poésie ça sert à voir plus loin,
plus profond dans l’obscur.
A marcher tête haute dans l’inconnu.
A apprivoiser la nuit qui est en soi
et, quand on a apprivoisé la nuit,
on n’a plus peur des faux maximonstres.
Je le sais maintenant :
inutile pour apercevoir l’infini
de dénuder le bleu du ciel car l’infini est
une tour
une forteresse apatride
un phare inassouvi
un silo cerclé d’oriflammes
Je le sais maintenant :
inutile pour apercevoir l’infini
d’apprivoiser la Voie lactée car l’infini est
un parcours austère
une géométrie sans pitié
une rectitude hantée d’absence
Peut-être est-il aussi un mirador
surveillant les coulées d’étoiles entre les barbelés des galaxies ?
Mais alors qui veille en son extrémité, juste au-dessous des oriflammes,
et quel souffle les fait battre immobiles sous une éternité d’orage ?
(Jacques Lacarrière)
Recueil: A l’orée du pays fertile
Traduction:
Editions: Seghers
L’amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser
Et c’est bien en vain qu’on l’appelle
S’il lui convient de refuser
Rien n’y fait, menace ou prière
L’un parle bien, l’autre se tait
Et c’est l’autre que je préfère
Il n’a rien dit, mais il me plaît
L’oiseau que tu croyais surprendre
Battit de l’aile et s’envola
L’amour est loin, tu peux l’attendre
Tu ne l’attends plus, il est là
Tout autour de toi, vite, vite
Il vient, s’en va, puis il revient
Tu crois le tenir, il t’évite
Tu crois l’éviter, il te tient
L’amour est enfant de bohème
Il n’a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m’aimes pas, je t’aime
Et si je t’aime, prends garde à toi
Prends garde à toi
Si tu ne m’aimes pas, si tu ne m’aimes pas, je t’aime
Prends garde à toi
Mais si je t’aime, si je t’aime, prends garde à toi
Cet oiseau noir dans ma tête
Ne se laisse pas apprivoiser
Il est comme un nuage qui se défile
et qu’on n’attrape jamais
comme la fumée entre les doigts
et la brume sur les yeux
Et cependant je n’ose le confier à personne
et je le vois disparaître avec regret
Il s’accroche à tous les sourires
se pose sur les mains tendues
et se nourrit du sucre des paroles
sans même pousser un cri de joie
Longtemps j’ai essayé de ne pas le voir
de ne plus l’écouter quand il croasse la nuit
et qu’il déchire de ses serres
les filets de la certitude
ll est le fils de l’insomnie
et du dégoût mélancolique
Mon oiseau noir mon fidèle
la haine n’est pas ta cousine
Je te donne trois jours et trois nuits
Matin sur la campagne
Une herbe blafarde
Pousse sur le sommet
Du talus abrupt
Cris dans les buissons
Des oiseaux polissons
Un jour de douceur et de satiété
Me guide vers toi
Je me hâte
Sur des chemins d’impatience
Accompagné par un vol d’oiseaux
Tu t’abandonnes aux rayons
D’un soleil à la dérive
Et ton sein hérisse
La pointe des vagues
Tu t’ouvres au désir
Dans la luxure des couleurs
Et à travers le cristal
De l’onde
Tu apprivoises les images
Nous connaîtrons dans l’amour
Un immense silence déployé
Sur des astres qui se noient.