1. Fidèle, fidèle je suis resté fidèle
A des choses sans importance pour vous
Un soir d´été, le vol d´une hirondelle
Un sourire d´enfant, en rendez-vous
Fidèle, fidèle je suis resté fidèle
A des riens qui pour moi font un tout
Un vieux toutou, une boite d´aquarelle
Le port de La Nouvelle au mois d´août.
2. Fidèle, fidèle je suis resté fidèle
A des lieux et des amis très doux :
Un drôle d´Albert et sa sœur en dentelles
Un castillet tout neuf, un Canigou.
Une rue de Béziers, une tante Emilie
Une maman partant pour Budapest
Ma vieille maison avec sa tonnellerie
Et près de la gendarmerie, les express.
3. Fidèle, fidèle je suis resté fidèle
Au souvenir d´un soir à Montauban
Candides ardeurs, nos cœurs je me rappelle
S´étaient donnés si jeunes sur un vieux banc
J´étais parti dans la nuit des vacances
Plus léger qu´un elfe au petit jour
Mais à présent à présent quand j´y pense
Je pleure toujours mon premier amour.
4. Fidèle, fidèle pourquoi rester fidèle
Quand tout change et s´en va sans regrets
Quand on est seul debout sur la passerelle
Devant tel ou tel monde qui disparaît
Quand on regarde tous les bateaux qui sombrent
Emportant les choses qu´on espérait
Quand on sait bien que l´on n´est plus qu´une ombre
Fidèle à d´autres ombres à jamais.
La margelle du puits déroule son tapis
De laine de nuage à la blancheur d’albâtre
Un moineau égaré, dans un coin se tapit
Tandis qu’une fumée, mollement, sort de l’âtre.
Les toits éclaboussés de larmes hivernales
Pleurent de tout leur soûl les chagrins de la nuit
Et festonnent les tuiles de perles de cristal.
Accrochées ça et là dans les ombres qui fuient.
La rivière est miroir … les chemins sont d’hermine !
Les arbres de noël ont envahi les prés !
Les pommiers dépouillés qui faisaient triste mine
Se sont enjolivés de robes sans apprêt.
En ce joli matin d’hiver éblouissant
Où le jour et la nuit se font « guerre en dentelle »
Des flocons de duvet animent en dansant
Ce merveilleux tableau digne d’une aquarelle !
Et ce petit village, éternel inconnu
Devient soudainement une œuvre de Grand Maître !
Miracle des saisons … Décor tombé des nues …
Fasciner un instant ! Doucement disparaître …
Parole dont le souffle est l’atmosphère qui encercle le monde,
Parole qui profère le monde qui fait tourner le vent,
Parole qui prononce l’oiseau qui s’élance dans les airs,
Parole qui efface la fanfare du soleil,
Dont le silence est le violon des étoiles,
Dont la mélodie est l’aube, et l’harmonie la nuit,
Parole tracée sur l’eau des lacs, et la lumière sur l’eau,
La lumière sur l’eau calme, l’eau mouvante, la cascade
Et les aquarelles du nuage, de la rosée, de la pluie spectrale,
Parole inscrite sur la pierre, ligne de crêtes sur fond de pierre,
Parole qui est feu du soleil et feu à l’intérieur
De l’ordre des atomes, symétrie cristalline,
Grammaire de la rose à cinq pétales et du lys à six pétales,
Spirale des feuilles sur une branche, hélice des coquillages,
Rotation des plantes qui s’enroulent sur des axes d’ombre et de lumière,
Sagesse instinctive du poisson, du lion et du bélier,
Rythme de la génération dans la stolonifère et la fougère,
Éclat d’aileron, battement d’aile, battement du coeur, mesure de la danse,
Hiéroglyphe exact où est dessinée
La plume, ou l’aile de l’insecte, réfraction des yeux multiples,
Les yeux des créatures, oh vision innombrable du monde,
Affirmation du mystère, comment nommer
Un esprit incarné en un monde, un monde fait homme?
***
WORD MADE FLESH
Word Whose breath is the world-circling atmosphere,
Word that utters the world that turns the wind,
Word that articulates the bird that speeds upon the air,
Word that blazes out the trumpet of the sun,
Whose silence is the violin-music of the stars,
Whose melody is the dawn, and harmony the night,
Word traced in water of lakes, and light on water,
Light on still water, moving water, waterfall
And water colours of cloud, of dew, of spectral raie,
Word inscribed on stone, mountain range upon range of stone,
Word that is fire of the sun and fire within
Order of atoms, cristalline simmetry,
Grammar of fave fold rose and six-fold lily,
Spiral of leaves on a bough, helix of shells,
Rotation of twining plants on axes of darkness and light,
Instinctive wisdom of fish and lion and ram,
Rhythm of generation in flagellate and fern,
Flash of fin, beat of wing, heartbeat, beat of the dance,
Hieroglyph in whose exact precision is defined
Feather and insect-wing, refraction of multiple eyes,
Eyes of the creatures, oh myriadfold vision of the world,
Statement of mystery, how shall we name
A spirit clothed in world, a world made man?
(Kathleen Raine)
Recueil: Sur un rivage désert
Traduction: Marie-Béatrice Mesnet et Jean Mambrino
Editions: Granit
J’aime les frais matins peuplés de tourterelles,
Les ciels purs et lavés comme des aquarelles,
L’azur, tout ce qui chante et tout ce qui sourit,
L’humble lilas qui s’ouvre et doucement fleurit,
L’oiseau comme un désir posé de branche en branche,
Et, dans un jardin clair, avec sa robe blanche,
Une rose au corsage ainsi qu’un cœur de feu,
Légère, et douce à voir, quelque enfant à l’œil bleu
Qui rêve, et longuement presse contre sa bouche
Une autre rose rouge et dont l’odeur la touche.
Les soldats ont brûlé la ferme et le château,
Abattu le donjon, la ruine romaine,
Qui, triomphant du temps, de la foudre et de l’eau,
D’un long passé restaient une preuve certaine.
Leurs débris maintenant détournent le ruisseau…
Monuments de tristesse et de guerre et de haine.
Les soldats ont brûlé la ferme et le château,
Abattu le donjon, la ruine romaine…
L’oiseau ne chante plus à l’ombre du rameau,
Le cerf ne vient plus boire à la fraîche fontaine,
Le lièvre a déserté le sinueux réseau
Des taillis épineux dont il fit son domaine…
Les soldats ont brûlé la ferme et le château,
Abattu le donjon, la ruine romaine…