Allongé sur le sable on dirait qu’il dort
Il est beau et très calme dans le froid qui mord
C’est un guerrier nomade, un homme du désert
Qui est couché dans le sable les yeux grands ouverts
Jusqu’où vont les nomades plus loin que la mort
Dans le chant des étoiles y’a le mirador
A quoi rêvent les nomades sous le ciel ouvert
A des pur-sang arabes écumant la mer.
Reste dans ton rêve, c’est peut-être mieux
Mais le jour se lève et en plein milieu
Il y a la frontière.
La violence est silence,
Silence est désert
Sentinelles de sable tournés vers la mer
Tirez sur tout ce qui bouge, même sur la poussière
Tirez sur le soleil rouge qui meurt dans la mer.
Qui partage les pierres, les jungles et le sable
Qui a mis l’univers à plat sur la table
Qui a peur de son ombre et qui fait la guerre
Mais déjà le vent efface ton nom sur la pierre.
Couché sur le sable, on dirait qu’il dort
Mais pour un nomade, c’est après la mort
Qu’y a plus de frontière.
Où est la frontière?
Où est la frontière?
Pour qui la frontière?
C’est loin la frontière?
Pourquoi la frontière?
C’est loin la frontière?
Où est la frontière?
(Bernard Lavilliers)
Recueil: Frontières Petit atlas poétique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Les juments blanches
En breton, pour dire « La jument blanche »,
On dit : « Ar gazeg wenn ».
En arabe, on dit : « El faras lè bèda ».
En anglais, on dit : « The white mare ».
En esquimau, on ne dit rien parce que chez eux
Il n’y a pas de juments blanches.
En espagnol, on dit : « La yegua blanca ».
En flamand, on dit : « De witte merries »
Comme vous pouvez le voir
Toutes ces juments sont très différentes.
Mais ce sont toutes des juments blanches.
(Paul André)
Recueil: La cour couleurs Anthologie de poèmes contre le racisme
Traduction:
Editions: Rue du monde
Certaines nuits Allah
dans Son sommeil
parle l’arabe dialectal
de choses surprenantes dans une
bouche divine les imams
refusent que Ses mots soient
ajoutés à Son journal D’autres
nuits nous L’entendons marcher
sur talons aiguilles nous
devinons au bruit du plafond
qu’Il se déguise devant un miroir
pour descendre faire un tour
dans les rues de Bab el-Oued
(Souad Labbize)
Recueil: Voix Vives de méditerranée en méditerranée Anthologie Sète 2019
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
La Poésie est comparable
à ce génie des Nuits arabes qui,
traqué, prend tour à tour
les apparences les plus diverses
afin d’éluder la prise,
tantôt flamme et
tantôt murmure,
tantôt poisson,
tantôt oiseau…
S’il fallait renvoyer chez eux
Les mots arabes ou arabo-persans
Ca ferait du monde
Et un drôle de vide sur notre carte de séjour :
Azur hasard
D’algèbre à zénith
Jupe (ce serait dommage) & matelas & nuque (mon amour)
Abricot & sirop & sorbet & sucre & tambour
Sans oublier la famille (tambourin
tambour battant) & guitare & lilas luth nénuphar orange
Maboul comme azimut qui va bien & comme
Zéro qui nous résume
Et on serait bien ennuyé
Sa voix est cassonade
cantatrice rossignol aux gammes
d’herbe et de rosée
Les mots d’arabe posés oiseaux de jour
sur les fils pour le linge des jeunes filles
qui répètent les paroles fredonnent
derrière la fraîcheur des murs
blanchis par la nostalgie d’amour
et ce qui avait goût de jasmin
quand la vie n’avait pas trahi
sa première ligne
Sa voix rappelle qu’il est un jardin
où les roses de Saâdi brillent encore
où tu pourrais poser la tête et pleurer
jusqu’à trouver la paix du coeur
et le sourire incomparable des yeux
quand l’amour repart
Quelque part le chant si pur
monte dans le crépuscule
Un berger arabe cherche sa chèvre sur le Mont Zion
Sur la colline d’en face je suis à la recherche
de mon petit garçon
Un berger arabe et un père juif
tous deux dans leur perte provisoire…
Nos deux voix se rencontrèrent au-dessus
de la Piscine du Sultan dans la vallée qui nous séparait
Aucun de nous ne veut que son garçon ou la chèvre
ne soit pris dans les rouages de la Had Gayah.
Après nous les trouvâmes au milieu des buissons
et nos voix rentrèrent en nous,
Rires et pleurs.
Chercher une chèvre ou un fils
a toujours été le commencement
d’une nouvelle religion dans ces montagnes
Les gares ni les trains
ne sont exempts de beauté
passant de là à là
Emouvant aussi
dans un wagon roulant entre les prés
est la communication soudain de silence
***
regarde les gens vont vers le métro
il est matin, à quelqu’un
personne ne veut donner d’argent
– quoi – rien, je dis simplement que la pluie
commence à tomber, les 2 petits frères
font des plocs-fusillades avec la bouche
est-ce qu’on peut capter le paysage
parsemé sous les crânes et déduire
le ciel de 258 vies
regarde les jeunes hommes parlent arabe
dans le train, on amasse en vain
leurs voix indéchiffrables
heureusement dans le livre Pasternak réussit à écumer
les lentilles de l’étang des jours, on tourne les pages
comme
comme courir sur une aurore de mousse mouillée
– quoi – rien, rien je dis seulement
que le ciel ne va pas se lever