Concessions échues, tombes abandonnées,
défoncées, à la renverse, forcées, christs
arrachés, passés à l’estrapade, manchots,
bouquets fanés, fleurs saccagées, mousses
et lichens, herbes folles, angelots sans tête,
marbres fendus, pierres grises et ferrailles
mangées par la rouille et la vermine, terre
ultime et sans concession pour nous futurs
morts en train de promener nos dimanches
parmi la charpie de cent regrets éternels
que le soleil en passant ramasse et fourre
dans sa poche comme un voleur de peu.
(Guy Goffette)
Recueil: Petits riens pour jours absolus
Editions: Gallimard
Ton regard était une route blanche
Qui toucha mon front.
Puis je me détachai
D’elle, comme on délaisse les vrais chemins trop beaux
Tendus au fond des heures et de la forêt.
Ta voix venait de l’ombre la plus charnelle,
Ton regard:
La plus grave des ombres autour du sang.
Parler t’ouvrait plus loin que l’amour
Plus loin qu’un fruit dévoré.
Ton regard était par delà
Plaisir
Ou pensée.
Même on sentait glisser et fuir et reculer
Tes souvenirs,
Reculer ton destin.
Chaque mot de lumière m’arrachait à une halte
Pour m’engloutir.
Ta voix venait ainsi,
Ton regard,
Me dénuder jusqu’à la douleur.
Il faut finir ce jour sans rien à finir.
J’ai choisi le silence.
Mes matelots sourds ont ramé,
Mes matelots aveugles,
Sans le savoir, au rythme de ta voix.
Et que je brûle en mer
M’apaise enfin dans ma légende
Sur un rivage qu’enchanterait
L’histoire inutile des vagues.
O Dieu
Enlève-moi le feu
Et dis-moi qu’il est bien
Que l’amandier fleurisse
Qu’il me faut accepter sa chance
Sans que j’aie faim à manger la terre
Pour devenir une fois
Sa femme de printemps
O Dieu
Guéris mon corps
De la blessure de l’homme
Préserve-le
D’être sous son baiser
Etang, forêt, marée
Permets que nous dormions ensemble
Nus
Ce n’est pas vrai
Que j’ai crié son nom
J’arracherais plutôt mes lèvres
Avec le vent
Si le vent voulait encore de moi.
Il venait
Je le touchais
Sous le manteau de sortilèges
Je descendais de lui
Comme on descend des rois.
O Dieu
Emporte-moi
Donne-moi
Juste assez de rosée
Juste assez de soif
Je ne veux être qu’une enfant triste
Qui regarde le couchant s’éteindre
Dans la candeur de ses doigts
Là-haut sur la montagne
L’était un vieux chalet
Murs blancs toit de bardeaux
Devant la porte un vieux bouleau
Là-haut sur la montagne
L’était un vieux chalet
Là-haut sur la montagne
Croula le vieux chalet
La neige et les rochers
S’étaient unis pour l’arracher
Là-haut sur la montagne
Croula le vieux chalet
Là-haut sur la montagne
Quand Jean vint au chalet
Pleura de tout son coeur
Sur les débris de son bonheur
Là-haut sur la montagne
Quand Jean vint au chalet
Là-haut sur la montagne
L’est un nouveau chalet
Car Jean d’un coeur vaillant
L’a rebâti plus beau qu’avant
Là-haut sur la montagne
L’est un nouveau chalet.
(Joseph Bovet)
Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette
Au fond de la nuit, les fermes sommeillent,
Cadenas tirés sur la fleur du vin,
Mais la fleur du feu y fermente et veille
Comme le soleil au creux des moulins.
Aux ruisseaux gelés la pierre est à fendre
Par temps de froidure, il n’est plus de fous,
L’heure de minuit, cette heure où l’on chante
Piquera mon cœur bien mieux que le houx.
J’avais des amours, des amis sans nombre
Des rires tressés au ciel de l’été,
Lors, me voici seul, tisonnant des ombres
Le charroi d’hiver a tout emporté.
Pourquoi ce Noël, pourquoi ces lumières,
Il n’est rien venu d’autre que les pleurs,
Je ne mordrai plus dans l’orange amère
Et ton souvenir m’arrache le cœur.
Mais que faire de vous
mes morts mes éphémères ?
Que faire
du père perdu
et maintenant de toi
mon aimée ?
Vous m’avez été
arrachés ?
Deuil qu’est-ce ?
Vous faire lentement
passer glisser
de l’extérieur
au plus profond
de moi.
Vous intérioriser peu à peu.
Désormais n’ai plus
de père.
Mais un père
intérieur.
N’ai plus d’aimée.
Mais une aimée
intérieure.
Mes éphémères mes morts
je vous porte
dans mon ventre.
Suis enceinte de vous tous
(Michèle Finck)
Recueil: Là où dansent les Éphémères 108 poètes d’aujourd’hui
Traduction:
Editions: Le Castor Astral
Les trains du petit jour partent mieux que des salves
Si chaude la dormeuse à l’aube des boulons
Arrachée — arrachée — franchissant les collines
Arrachée de mon corps comme une affiche humide.
Crucifixion des mots d’amour dressés en toi
Je capture la nuit qui te flaire à la trace
Je roule avec le sang qui brûle entre mes bras
Je déroule les bois endormis sous la neige.
À l’heure où le brouillard enroue l’écho des coqs
Mon sommeil a des fils noués à ton visage
Je m’efforce à plonger plus profond que le roc
Plus profond que la mer et plus sourd que ma voix.
(Luc Bérimont)
Recueil: Le sang des hommes
Traduction:
Editions: Bruno Doucey