Ouvrir les yeux
Fixer le mur
Pourquoi serais-je attendu
Quelque part dans le noir ?
Rien d’inhabituel et pourtant
Rien de familier non plus
Quelque chose d’enfoui
Au fond de mon esprit
Tente de refaire surface
Avec le sentiment confus
Que je dois me souvenir
Les voix m’ont importuné
Pendant deux ou trois semaines
Puis elles sont sorties de ma vie
Poliment
Merveilleux silence
Merveilleuse paix
J’espère qu’elles ne reviendront pas
La tristesse, la pluie, une lettre attendue
Décolorent ce premier jour de printemps.
Et ma main qui se tend
Vers la lettre attendue
Ne soupèse le poids que de mon temps perdu.
Perdu mon temps, perdue la course heureuse
Vers de nouvelles voix,
Perdue surtout ma partie de tricheuse :
Les bagues me sont tombées des doigts.
J’ai bien des fois brûlé
Mais de chaque incendie
Un nouveau coeur m’est né
Pour l’amour de ma vie.
Bagues par les plages mangées,
Les poissons portent des bijoux essentiels
A mes mortelles soirées.
Poissons : sommeil du diable,
Mes mains en creusant le sable
Ne trouvent enlisés que mes péchés véniels.
Et j’attends d’une lettre
La pluie ou le beau temps
La lettre baromètre
Tient mon ciel en suspens.
Ah! les visages, les visages perdus
N’ont pas laissé d’empreintes nettes
Aux miroirs des amours muettes
Que les voyageurs ont tendus.
Voyageurs, vous disiez en montrant le miroir :
« Soufflez fort, il faut que vos visages s’éteignent.
L’amour vous habillera de noir
Afin que les désirs vous craignent. »
Et les bras étaient plus grands
Dans la chambre plus haute,
L’épaule devenait le monde où l’on apprend
La leçon des mille fautes.
Dans l’armoire pendue
Au-dessus du plancher
Ma robe est toute nue
je n’ose la toucher.
Maintenant un tambour au loin bat ma retraite.
L’âge est seul en ma chambre à me serrer de près.
Le drapeau du malheur est le drap des secrets.
Je n’irai plus dans mes habits de fête
Me baigner au lac des tendres toujours,
Adieu mousselines, voici les prêtres,
Adieu beaux jours à ma fenêtre,
L’extrême-onction sent le velours.
La cascade aux roches roucoule,
Criez plus fort : le bruit est sourd.
Chaque fou court après son moule.
L’extrême-onction sent le velours.
Ce jour-là, les flots bleus susurreront plus bleus
Le long des côtes blanches,
Et du soleil frileux, les rayons plus frileux
Se joueront dans les branches.
Malgré le rude hiver, les fleurs de l’églantier
Souriront grand’ouvertes,
Et l’on verra changer les cailloux du sentier
En émeraudes vertes.
Les loups pour les agneaux auront des soins exquis,
Et sous l’oeil bon des aigles,
Les grands vautours feront la cour, en fins marquis,
Aux colombes espiègles.
Les dames, aux propos galants des séducteurs,
Ne seront pas rebelles,
Et les Almavivas, malgré les vieux tuteurs,
Enlèveront leurs belles.
Car ce jour-là, jour saint, vaillamment attendu,
Dans tes chastes prunelles,
Mes yeux retrouveront le paradis perdu
Des amours éternelles.
Car ce jour-là, les coeurs par le bonheur brisés,
Mes lèvres dans les tiennes,
Nous nous rappellerons en de nouveaux baisers
Nos caresses anciennes.
Cette jeune fille qui se baignait
dans un creux du Sikar
a apaisé dans l’eau
la fièvre de ses douze ans.
La tête penchée et l’ombre rougissante du couchant
lui ont servi à tromper les poissons,
l’herbe du rivage et, surtout, les lavandières.
Mais une fois loin et seule avec les joncs,
son sourire ardent la dénonçait.
Pures pluies, femmes attendues,
La face que vous essuyez,
De verre voué aux tourments,
Est la face du révolté ;
L’autre, la vitre de l’heureux,
Frissonne devant le feu de bois.
Je vous aime mystères jumeaux,
Je touche à chacun de vous;
J’ai mal et je suis léger.
La nudité, l’appel,
le corps qui cherche son unité à travers d’autres corps,
sa présence.
Le désir dans le crâne percé,
le sang qui cherche furieusement
à se brancher sur le nerf magique d’un destin
qui lui donnerait l’immortalité d’un sens.
Un baiser referme le monde dans sa nuit.
Un baiser plus profond que la tombe,
et le corps aimé n’est plus corps,
mais oubli, éternité.
Les corps s’aiment
parce qu’ils sont perdus,
pour se retrouver.
Nous avons tous un coeur
proche de se déchirer et prendre feu.
Un corps désiré ranime le goût blessé du vide…
Tomber dans un cri inconnu à travers le corps
qu’on sent à tel point qu’on ne le sent plus.
Le désir cherche à toucher,
mais le contact attendu
est celui de l’essence de la présence.
Aimer voudrait n’avoir pas de corps
pour aller au plus près.
Ce jour tant attendu
S’était levé pour nous,
Tu étais étendue,
Moi, j’étais comme fou…
Deux coeurs battaient en toi
Au rythme de mon coeur
Et y’avait tant de joie
Dans tes cris de douleur…
Notre amour prenait corps
Par ton corps torturé,
Et rien n’était plus fort
Que l’instant qu’on vivait..
Ce dont nous avions peur
Nous unissait bien plus
Que le plus grand bonheur
Ce jour tant attendu…
Ce jour tant attendu
S’était levé enfin,
J’étais comme perdu,
Mais je ne pouvais rien…
Rien pour toi qui souffrais,
Luttais contre le temps…
Rien pour toi qui criais
Tout en te débattant…
Tes yeux cherchaient mes yeux
Qui regardaient les tiens
Et tes ongles furieux
Se plantaient dans mes mains
Annonçant le bonheur
Pour deux êtres éperdus,
Naissait dans la douleur
Ce jour tant attendu…
Et ton corps déchiré
Soudain s’est apaisé
En mettant au grand jour
Le fruit de notre amour.