Il était jaloux, inquiet et tendre,
Comme le soleil du bon Dieu il m’aimait,
Mais pour que son chant oublie le passé,
Il a tué mon oiseau blanc.
Il a dit, en entrant au crépuscule dans ma chambre :
«Aime-moi, ris, écris des vers ! »
Et j’ai enterré l’oiseau joyeux
Derrière le puits rond, sous le vieil aulne.
Je lui ai promis de ne pas pleurer,
Mais mon coeur maintenant est une pierre,
Il me semble que toujours et partout
J’entendrai chanter la voix si douce.
Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent ?
C’est le père, le père avec son enfant.
Il tient le garçon dans ses bras serré
Pour le protéger, pour le réchauffer.
Mon fils, pourquoi donc cacher ton visage ?
– Père, vois-tu pas venir le Roi des Aulnes?
Avec ses cheveux, avec sa couronne ?
Mon fils, ce n’est rien qu’un léger nuage.
Petit enfant, viens, viens donc avec moi !
Que de jolis jeux jouer avec toi !
Et combien de fleurs brillent sur nos bords!
Ma mère, chez elle, a des habits d’or!
— Mon père, mon père, n’entends-tu pas
Ce que me promet, ce que dit le Roi?
Calme-toi mon fils, mon fils sois tranquille
Dans les feuilles mortes c’est le vent qui file.
Ne veux-tu donc pas venir avec moi ?
Mes filles sauront si bien t’accueillir
Elles qui conduisent la ronde des bois
Te feront danser, chanter et dormir.
Mon père, mon père, vois-tu là-bas
Les filles du Roi dans ce lieu sans fleurs?
Mon fils, mon garçon je vois bien cela :
Les saules sont vieux, grise est leur couleur.
Je t’aime, je t’aime, enfant, tu me plais !
Si tu ne veux pas, je te forcerai.
Mon père, mon père, il va m’emporter
Le Roi m’a fait mal, le Roi m’a blessé !
Le père a grand’peur, il chevauche vite
Il tient dans ses bras l’enfant qui gémit.
Il atteint la cour, un dernier effort :
Déjà dans ses bras l’enfant était mort.
***
ERLKÖNIG
Wer reitet so spat durci, Nacht und Wind ?
Es ist der Vater mit seinem Kind;
Er hat den Knaben wohl in dem Arm,
Er faßt ihn Bicher, er halt ihn warm.
Mein Sohn, was birgst du so bang dein Gesicht ?-
Siehst, Vater, du den Erlkönig nicht ?
Den Erlenkönig mit Kron und Schweif ?-
Mein Sohn, es ist ein Nebelstreif.-
»Du liebes Kind, komm, geh mit mir!
Gar schöne Spiele spiel ici, mit dir;
Manch bunte Blumen sind an dem Strand,
Meine Mutter hat manch gulden Gewand.
Mein Vater, mein Vater, und hörest du nicht,
Was Erlenkönig mir leise verspricht ?-
Sei ruhig, bleibe ruhig, mein Kind;
In dürren Blättern säuselt der Wind.-
»Willst, Feiner Knabe, du mit mir gehn ?
Meine Richter sollen dich warten schön ;
Meine Töchter führen den nächtlichen Reihn,
Und wiegen und tanzen und singen dich
Mein Vater, mein Vater, und siehst du nicht dort
Erlkönigs Richter am düstern Ort ?-
Mein Sohn, mein Sohn, ich seh es genau :
Es scheinen die alten Weiden so grau.-
»Ich Liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt;
Und bist du nicht willig, so brauch ich Gewalt. «
Mein Vater, mein Vater, jetzt faßt er mich an!
Erlkönig hat mir ein Leids getan
Dem Vater grausets, er reitet geschwind,
Er halt in Armen das ächzende Kind,
Erreicht den Hof mit Müh und Not;
In seinen Armen das Kind war tot.
(Johann Wolfgang Von Goethe)
Recueil: Elégie de Marienbad
Traduction: Jean Tardieu
Editions: Gallimard
Délicate créature :
Je souhaite que ma voix
Ne trouble pas le sortilège
Orangé de cette forêt,
Ton élément naturel,
Par ses troncs obscurs
Élevée jusqu’au ciel.
Je voudrais, en cette
Soirée translucide,
Dense comme une grappe,
Sur toi laisser une empreinte, une forme,
Jouer des branches et des feuilles,
Toi, dans le vent hésitant.
Arôme diffus, tu erres
Du pas gris des songes
Et te perds dans la brume
Que l’étang exhale,
Pensée amusée
D’un dieu amoureux.
Tu inspires l’air tout entier
Par ta magie s’épanouit,
Comme une fleur, librement,
Le désir de l’homme
Et ce repos souverain
Qui soulage la vie.
Toujours incertaine, tel l’écho
De quelque lèvre, au loin,
D’aulnes en aulnes
A la blancheur nordique,
Vibre ta svelte musique
Et dans un feu soupire.
L’amour pèse-t-il donc
Sur ton corps invisible ?
Et ses tricheries obscures
Sur le monde, par toi nous
Rappellent-elles, désir éternel,
Combien nous sommes éphémères ?
Souris, parle-moi, chante,
Si tu es bien cette extase
Entraînant les feuilles ardentes,
Dépouilles de ta seule couronne,
Avec une passion insatiable,
A se révéler dans la mort.
Sais-tu mourir aussi, mourir
Comme la beauté humaine,
Fils subtil de la forêt ?
Tu t’apaises sur la mousse,
La brume te fait taire,
Un nuage vient sculpter,
Tel un iris de nacre légère,
L’ennui que tu portes aux jours.
Je crois encore voir tes yeux,
Leur malice sereine,
Au delà des cimes nues,
Dans l’air profond
Et déjà glacé, alors que la nuit
Impérieuse se lève.
(Luis Cernuda)
Recueil: Les nuages
Traduction: Anthony Bellanger
Editions: Fata Morgana
Un sorbier comme une fille avec du rouge aux lèvres
Entre la petite et la grande route
Les aulnes mouillés et ruisselants
Se tiennent à distance parmi les joncs.
Il y a les humbles fleurs du dialecte
Et les immortelles de l’accent parfait
Et cet instant où l’oiseau chante tout proche
De la musique des événements.
***
A rowan like a lipsticked girl.
Between the by-road and the main road
Alder trees at a wet and dripping distance
Stand off among the rushes.
There are the mud-flowers of dialect
And the immortelles of perfect pitch
And that moment when the bird sings very close
To the music of what happens.
Le rossignol au clair de lune, on le voit,
on ne le voit plus,
le rossignol au clair de lune fond
dans la douceur de son chant.
S’il reparaît on voit les champs s’approcher de l’arbre où il chante,
s’il reparaît on voit les champs, les entend plutôt plus et plus
devenir eux-mêmes des chants, quittant le sol, devenant sols, rés, mis, sols,
gazouillant aux cols bercés de saules, d’aulnes, d’autres
arbres fleuris de rossignols. Ah ! bercés du plus doux des vents
perdant ces feuilles une à une,
des plus doux chants sur plus doux vents
les rossignols du clair de lune.
en fleur sous mon toit de ciel,
par la fenêtre ouverte
le grand air, le soleil
te sucrent, te dorent,
te duvètent, te veloutent,
et je sais que tes rêves
ont déjà pris leur vol…
Le jour passe à grands pas
— je sais à qui tu penses —
et la nuit étoilée
s’écoule en scintillant
sur tes seins et tes hanches…
Berceuse de mes jours,
veilleuse de mes nuits,
lorsque la femme-fruit
t’aura pris corps et âme,
au bras de ton amour
tu quitteras ma branche
et t’en iras riant
dans tes pétales de dents blanches…
Je suis le vent du soir
qui délie l’amarre
de ton bateau
et l’emporte
d’une main forte
au large
au libre cours de l’eau
Les bras de l’aulne se dénouent
et la tête du saule
roule sur mon épaule
cheveux épars
plongés parmi les fleurs
de lune
des nénuphars
Je suis le vent du soir
levant les voiles
sur les flots
déploiement d’ailes
qui s’élancent
roulis de rêves
où se balance
ton âme nue
en son berceau
Ce sont les travaux de l’homme qui sont grands :
celui qui met le lait dans les vases de bois,
celui qui cueille les épis de blé piquants et droits,
celui qui garde les vaches près des aulnes frais,
celui qui fait saigner les bouleaux des forêts,
celui qui tord, près des ruisseaux vifs, les osiers,
celui qui raccommode les vieux souliers
près d’un foyer obscur, d’un vieux chat galeux,
d’un merle qui dort et des enfants heureux ;
celui qui tisse et fait un bruit retombant,
lorsque à minuit les grillons chantent aigrement ;
celui qui fait le pain, celui qui fait le vin,
celui qui sème l’ail et les choux au jardin,
celui qui recueille les oeufs tièdes.