Ballade de la chanson leste
(Poèmes à chanter du bureau de la Musique)
L’hirondelle volette devant la salle hospitalière ;
L’hiver s’est caché, l’été se montre.
Ses frères s’en sont allés ailleurs.
Qui va me recoudre mes vieux habits ?
Qui va lui déchirer ses nouveaux vêtements ?
Je compte sur la gente maîtresse de maison pour les rapiécer.
Le gendre est revenu et me jette un regard en biais :
« Ne me regarde pas de travers.
Anguille sous roche se voit dans l’eau claire. »
Que d’ennuis à cause de cette roche !
Mieux vaudrait être de retour que voyager au loin !
(Anonyme)
Recueil: Cent poèmes d’amour de la Chine ancienne
Traduction: André Lévy
Editions: Philippe Picquier
Les gens de Glenbeigh boivent et chantent
dans l’auberge des Towers illuminée
de rose à travers la nuit froide étoilée
Un petit âne regarde par la fenêtre
étincelante de ses grands yeux résignés
comme ceux du vieil homme à casquette
qui boit en battant la mesure sans chanter
L’âne se perd dans le noir qu’il cadence
de son pas droit, menu, sûr. Le vieil homme
quitte l’auberge en se tenant aux murs
Les refrains des ballades marines résonnent
sur les prairies et les troupeaux obscurs
le vent prend l’ombre par la taille et danse
Je ne sais celui que je voudrais être
dans la vitrine claire de la fête
et le nocturne où se pâture l’existence
peut-être la lumière des abat-jour
qui donne aux visages lourds
la légèreté des transparences.
Dites-moi où, n’en quel pays
Est Flora la belle Romaine,
Archipiadès ni Thaïs
Qui fut sa cousine germaine,
Écho parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine…
Mais où sont les neiges d’antan ?
Où est la très sage Héloïs
Pour qui châtré fut et puis moine
Pierre Abélard à Saint-Denis ?
Pour son amour eut cette essoine.
semblablement, où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?
La reine Blanche comme lis
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au plat pied, Biétrix, Alix,
Aremburgis qui tint le Maine
Et Jehanne la bonne Lorraine
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen ?
Où sont-ils, où, Vierge souveraine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?
Prince, n’enquerrez de semaine
Où elles sont, ni de cet an,
Qu’à ce refrain ne vous ramène :
Mais où sont les neiges d’antan ?
***
Dictes moy où, n’en quel pays,
Est Flora, la belle Romaine ;
Archipiada, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine ;
Echo, parlant quand bruyt on maine
Dessus rivière ou sus estan,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?
Mais où sont les neiges d’antan !
Où est la très sage Heloïs,
Pour qui fut chastré et puis moyne
Pierre Esbaillart à Sainct-Denys ?
Pour son amour eut cest essoyne.
Semblablement, où est la royne
Qui commanda que Buridan
Fust jetté en ung sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d’antan !
La royne Blanche comme ung lys,
Qui chantoit à voix de sereine ;
Berthe au grand pied, Bietris, Allys ;
Harembourges, qui tint le Mayne,
Et Jehanne, la bonne Lorraine,
Qu’Anglois bruslèrent à Rouen ;
Où sont-ilz, Vierge souveraine ?…
Mais où sont les neiges d’antan !
Prince, n’enquerrez de sepmaine
Où elles sont, ne de cest an,
Qu’à ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d’anten ?
Mes souvenirs sont si nombreux
Que ma raison n’y peut suffire.
Pourtant je ne vis que par eux,
Eux seuls me font pleurer et rire.
Le présent est sanglant et noir ;
Dans l’avenir qu’ai-je à poursuivre ?
Calme frais des tombeaux, le soir !…
Je me suis trop hâté de vivre.
Amours heureux ou malheureux,
Lourds regrets, satiété pire,
Yeux noirs veloutés, clairs yeux bleus,
Aux regards qu’on ne peut pas dire,
Cheveux noyant le démêloir
Couleur d’or, d’ébène ou de cuivre,
J’ai voulu tout voir, tout avoir.
je me suis trop hâté de vivre.
je suis las. Plus d’amour. je veux
Vivre seul, pour moi seul décrire
Jusqu’à l’odeur de tes cheveux,
Jusqu’à l’éclair de ton sourire,
Dire ton royal nonchaloir,
T’évoquer entière en un livre
Pur et vrai comme ton miroir.
je me suis trop hâté de vivre.
ENVOI
Ma chanson, vapeur d’encensoir,
Chère envolée, ira te suivre.
En tes bras j’espérais pouvoir
Attendre l’heure qui délivre ;
Tu m’as pris mon tour. Au revoir.
je me suis trop hâté de vivre.
Les jours ne s’en vont pas longtemps
Mais nous laissent leur poids qui pense.
Mon hiver sert en plat d’argent
Aux jours en grappes de vacances
Sans poids sans ombre, leur ballade
Dévêtit sur mon sol maussade
L’ombre changeante, ou devenir,
Qui s’y répand comme le sang
Interrogeable d’un présent.
Beaux nus dans le soleil mémoire
Volez ou plongez !
nous traitant
De passeurs et de passe-temps
Vers l’ambroisie de notre histoire.
– Allez-vous-en ! pas pour longtemps.
Les paysans m’appellent par mon nom sur les routes,
comme ils reconnaissent une alouette d’une grive
mais ils connaissent mieux les noms des gibiers que le
mien car mon nom est Douleur.
Si ce que j’aime s’appesantit sur ma blessure, Il la gêne,
s’il ne s’appesantit que sur l’été, c’est la plaine qui souffre.
Qui nourrira mon amour et l’été si ce n’est cette douleur,
puisque mon amour et l’été ne peuvent plus se nourrir de joie.
Le cygne s’en va dans le sens des branches
et les muses nues me prennent les bras ;
le cheval ailé comprend ma souffrance
et les fleurs des prés s’écartent de moi.
(Max Jacob)
Recueil: Derniers poèmes en vers et en prose
Traduction:
Editions: Gallimard