Dans la pénombre des océans
Où finit la terre
Loin de toi ma geôlière
J’écoutais Haendel
Son Tremblement de terre de Rome
Comme granit dans la démesure de la fissure
L’île de Groix en face
Où Bourguiba faisait surface
Barbe généreuse et yeux perçants
Où le phare balayait la mer
Ses signaux verts battaient la nuit plaintive
Je ne savais si les airs du hautbois
Suppliaient l’océan d’être plus clément
Ou si les vagues frappant les rochers
Libéraient la falaise des bunkers de brume
Quand passait un oiseau ou la musique du vent,
je les appelais à l’aide pour nourrir ton enfance
et t’écrire une chanson.
L’ombre d’un voyageur,
la barbe d’un passant,
une gouttelette de rosée,
un couple d’amoureux non encore marqué
par la vanité des querelles,
un air qu’une inconnue sifflotait dans une rue,
tout me servait de point de départ
pour te confectionner un conte.
(Lyonel Trouillot)
Recueil: Le doux parfum des temps à venir
Traduction:
Editions: Actes Sud
Les jours de repassage,
Dans la maison qui dort,
La bonne n´est pas sage
Mais on la garde encore.
On l´a trouvée hier soir,
Derrière la porte de bois,
Avec une passoire, se donnant de la joie.
La barbe de grand-père
A tout remis en ordre
Mais la bonne en colère a bien failli le mordre.
Il pleut sur les ardoises,
Il pleut sur la basse-cour,
Il pleut sur les framboises,
Il pleut sur mon amour.
Je me cache sous la table.
Le chat me griffe un peu.
Ce tigre est indomptable
Et joue avec le feu.
Les pantoufles de grand-mère
Sont mortes avant la nuit.
Dormons dans ma chaumière.
Dormez, dormons sans bruit.
Berceau berçant des violes,
Un ange s´est caché
Dans le placard aux fioles
Où l´on me tient couché.
Remède pour le rhume,
Remède pour le cœur,
Remède pour la brume,
Remède pour le malheur.
La revanche des orages
A fait de la maison
Un tendre paysage
Pour les petits garçons
Qui brûlent d´impatience
Deux jours avant Noël
Et, sans aucune méfiance,
Acceptent tout, pêle-mêle :
La vie, la mort, les squares
Et les trains électriques,
Les larmes dans les gares,
Guignol et les coups de triques,
Les becs d´acétylène
Aux enfants assistés
Et le sourire d´Hélène
Par un beau soir d´été.
Donnez-moi quatre planches
Pour me faire un cercueil.
Il est tombé de la branche,
Le gentil écureuil.
Je n´ai pas aimé ma mère.
Je n´ai pas aimé mon sort.
Je n´ai pas aimé la guerre.
Je n´ai pas aimé la mort.
Je n´ai jamais su dire
Pourquoi j´étais distrait.
Je n´ai pas su sourire
A tel ou tel attrait.
J´étais seul sur les routes
Sans dire ni oui ni non.
Mon âme s´est dissoute.
Poussière était mon nom.
Le cœur de Paris, c´est une fleur,
Une fleur d´amour si jolie
Que l´on garde dans son cœur,
Que l´on aime pour la vie.
Le cœur de Paris, c´est une romance
Qui parle du soleil ou d´la pluie.
On croit qu´elle finit mais elle recommence.
Le cœur de Paris, c´est la France.
Le cœur de Paris, oh midinettes,
C´est deux sous d´bonheur, une guinguette
On y danse quand il fait beau.
C´est Lison, Manon, Lisette.
Le cœur de Paris, c´est les poulbots
Am figures d´archanges, aux phrases crues,
Montmartre qui s´endort dans une toile d´Utrillo,
Le cœur de Paris, c´est la rue.
Le cœur de Paris, c´est une histoire
Toujours présente à nos mémoires.
C´est la barbe du roi Henri,
Barbe bleue ou barbe noire.
Ainsi se termine ma p´tite chanson
Qui déploie ses ailes à la ronde.
Elle s´envole aux cieux pour porter un peu
Du cœur de Paris dans le monde
Et le monde ravi
Murmure : « Qu´il est gentil,
Le cœur de Paris! »
Avec mes cheveux gris et ma barbe trop blanche,
A moi-même fidèle, âmes songes d’enfant,
Malgré la brume épaisse et le temps étouffant,
Et l’avenir broyé sous un poids d’avalanche,
Une fille je vois et ses cheveux dorés.
Dans un jardin de rêve, à la corde elle saute,
Heureuse et souriante, avec la tête haute.
Chez elle les chemins ne sont jamais barrés.
Quand un échec remplace une énorme espérance,
Quand l’homme bestial domine l’univers,
Quand la terre est rongée aux coups d’immondes vers,
Comme au temps révolu de ma première enfance,
Une fille je vois et ses cheveux dorés.
Dans un jardin de rêve, à la corde elle saute,
Heureuse et souriante, avec la tête haute.
Chez elle les chemins ne sont jamais barrés.
Ma vie arrive au bout prenant de la vitesse.
Sans être vraiment fier d’un tel état de lieux,
De la profonde nuit, des nuages aux cieux,
Malgré le grand déboire et l’immense détresse,
Une fille je vois et ses cheveux dorés.
Dans un jardin de rêve, à la corde elle saute,
Heureuse et souriante avec la tête haute.
Chez elle les chemins ne sont jamais barrés.
Par les chemins poudreux, je les ai vus venir,
Les bergers de naguère. Ils parlaient des langages
Anciens en égrenant de bien vieux souvenirs,
Les dictons fleurissant dans leur barbes sauvages,
Avec des inflexions de métal émoussé.
Ils nous ont raconté de très longues histoires
De brigands, de trésors dans des montagnes noires,
Assis près du vieux puits. Puis, l’Ancien a toussé;
Dans le sac, ils ont mis le litre et les croûtons
Et sont partis, drapés d’un nuage de moutons.
Si je frappe du pied dans la poussière
ce n’est pas un grouillement de fantômes qui se lève
du pied dans les nuées,
dans les lignes de la main
ce n’est pas une armée d’ossements qui s’avance
un vertige qui souffle sur le sommeil des servantes
si je frappe, le village ne s’envole pas
les anges de perles bleues, rouges, noires
au plafond des auberges ne s’envolent pas
si je frappe du pied, tout ce pays me monte à la tête,
avec derrière lui dans la prière du soir
sa barbe de gros froment roux qui frotte mon épaule
la chaleur des hanches et des bras prise sur la dernière danse
les champs qui se lavent des pieds à la tête
si je frappe du pied, dimanche
trois fois dimanche
trente-trois fois dimanche
et rien ne change, rien ne change jamais
pas une fleur dans la prairie
pas un pli de la robe
pas une étoile de la fièvre bleue des foins
et puis ça recommence du grain à la paille
de la terre au ciel, de la mère à l’enfant
des sources à l’océan fumant sous le coup de midi
de la rosée du matin à la rosée du soir
du paysan qui va aux champs au paysan qui en revient
la main passe, le ciel recule et avance
les servantes, l’amour en tête
montent dans leur chambre pleine d’oracles
si je frappe du pied ça recommence
dimanche, trois fois dimanche, trente-trois fois dimanche.
Les nombreux pas perdus dans la salle du nom
Ont sonné maintes fois sur les pavés de verre,
A Saint-Lazare à l’heure où partait pour Cythère
La rame des élus via Triel ou Bécon.
La Défense n’était pas encore en béton,
On cueillait l’abricot du côté de Nanterre,
Certain petit vin blanc se buvait sans manière,
Passant par les gosiers de godet en chanson.
De Malmaison à Vaux fleurissaient les guinguettes
Où les fins de semaine étaient sûrement faites
Pour la guinche et la joie alentour des buissons.
Les femmes portaient haut leur chevelure floue,
Quelques mèches pourtant leur tombaient sur la joue
Pour taquiner la barbe ou la peau des garçons.
Ils n’échangèrent qu’un regard
Et quelques paroles,
Mais pour retenir un coeur fol
Il est toujours trop tard.
Septembre pavoisait sournoisement
De ses loques citron le haut des peupliers;
Ils se trouvèrent mieux liés
Que par d’ardents serments.
Il avait déjà barbe grise
Mais elle entre ses cils battants
Le regardait avec surprise
Comme le chevalier Tristan.
Le soir tombait troublé de bruits épars;
Chacun reprit la route auparavant suivie;
Ils n’avaient échangé qu’un regard,
Mais ils y songèrent toute la vie.