Quelque chose dénoue le guetteur, le rend friable à la gorge.
La hache de l’évidence précède les ruisseaux, aux portes des rivières,
entre les mains des enfants.
Alors nous savons mourir, être la proie des roseaux,
et dans leur bec, rejoindre la vase, le lichen, le goémon.
Combien de temps le rouge-gorge a-t-il joué sous mes yeux?
Deux secondes, peut-être trois –
et cela a suffi pour qu’avec son bec
il attrape une maille de mon coeur et, s’envolant brusquement,
défasse toute la pelote pour l’emmener dans le ciel
où je me découvrais soudain rêveur.
Le long des peupliers je marche, le front nu,
Poitrine au vent, les yeux flagellés par la pluie.
Je m’avance hagard vers le but inconnu.
Le printemps a des fleurs dont le parfum m’ennuie,
L’été promet, l’automne offre ses fruits, d’aspects
Irritants; l’hiver blanc, même, est sali de suie.
Que les corbeaux, trouant mon ventre de leurs becs,
Mangent mon foie, où sont tant de colères folles,
Que l’air et le soleil blanchissent mes os secs,
Le poète n’est pas quelqu’un, il est bête chose
Qui de la geôle ou la cage a vagabondé
Et il parcourt le monde en cabriolant,
Souvenir du cirque qu’il a inventé.
Il étend sur le sol la cape qui le découvre,
Fait de la poitrine le tambour, et roule, saute,
Il est ours danseur, singe savant,
Oiseau torse du bec et échasse.
Pour finir il joue la fanfare du poème,
Grosse caisse, basson, notes écorchées,
Et parce que bête il est, bête il reste là
A chanter pour les étoiles éteintes.
***
Circo
Poeta não é gente, é bicho coiso
Que da jaula ou gaiola vadiou
E anda pelo mundo às cambalhotas,
Recordadas do circo que inventou.
Estende no chão a capa que o destapa,
Faz do peito tambor, e rufa, salta,
E urso bailarino, mono sábio,
Ave torta de bico e pernalta.
Ao fim toca a charanga do poema,
Caixa, fagote, notas arranhadas,
E porque bicho é, bicho lá fica,
A cantar às estrelas apagadas.
(José Saramago)
Recueil: Les poèmes possibles
Traduction: Nicole Siganos
Editions: Jacques Brémond
Aux becs de gaz éteints, la nuit, en la maison,
Ils prolongent souvent des plaintes éternelles;
Et sans que nous puissions dans leurs glauques prunelles
En sonder la sinistre et mystique raison.
Parfois, leur dos aussi secoue un long frisson;
Leur poil vif se hérisse à des jets d’étincelles
Vers les minuits affreux d’horloges solennelles
Qu’il écoutent sonner de bizarre façon.
(Émile Nelligan)
Recueil: le chat en cent poèmes
Traduction:
Editions: Omnibus