Je ne suis roi de rien, je règne sur le vent,
Sur des chemins perdus, sur des sables mouvants,
Sur d’anciens châteaux-forts et sur des cathédrales
englouties.
Je suis roi d’un soleil qui se meurt comme il peut,
J’ai l’air d’un vieux volcan refroidi peu à peu,
Je crois que ma parade à grands coups de cymbales
est finie.
Je ne suis roi de rien, ma couronne est en bois,
C’est scandaleux bien-sûr, c’est de mauvais aloi,
Je ne suis rien roi de rien mais je suis roi quand même
car je t’aime.
Alors le monde entier peut s’écrouler d’un coup,
J’ai le droit d’être pauvre et le droit d’être fou.
Je suis esclave et roi, je n’ai pas de problèmes
si tu m’aimes.
Je ne suis roi de rien que de mon avenir,
Qui n’est déjà plus rien qu’un désastre à venir,
Et l’intérieur de moi n’est plus qu’un paysage
en délire,
Je ne suis roi de rien, je suis comme un enfant
Qui reconstruit le monde en écoutant le vent.
Il ne me reste plus, je crois, que le courage
de te dire
que je t’aime
Je ne suis roi de rien mais je suis roi quand même
si tu m’aimes
encore un peu …
Si les eaux de la mer, un matin, se retirent,
Nous dévisagerons tous les siècles éteints.
Le temps sera fini des larmes et du rire.
Si les eaux de la mer se retirent, un matin,
Nous irons ramasser des rames de galère
Pour y sculpter la forme exacte d’un violon
Qui chantera pour nous les hymnes de naguère
Comme les galériens vers les quatre horizons…
Les étoiles de mer fleuriront à miracle
En d’étranges jardins que nul n’a jamais vus.
L’océan garde en lui la magie du spectacle
Que les plus vieux poissons des grands fonds ont connu.
Jardins du fond des mers, où les noyés reposent
Avec leurs yeux ouverts qui ne pourront plus voir,
Regards éteints tournés vers le secret des choses,
Inconnus sommeillant sur un lit d’algues noires.
Les étoiles de mer sont vivantes et cruelles,
Qu’elles se ferment donc en silence sur eux,
Que la tête et le coeur nourrissent les plus belles:
Aucun matin du monde a-t-il désiré mieux?
La nuit, les cerfs-volants,
le grand-duc et la lune
et les engoulevents…
et les chiens dans les fermes
et dans les bergeries,
les agneaux qui se plaignent…
J’ai vu sur la rivière
une brume étonnante
où dansaient des fantômes
ou des vierges ou des saintes.
Je me tenais très loin
de ces ronds de sorcières…
Je n’avais peur de rien
mais je claquais des dents.
Que les nuits étaient belles
et qu’il est merveilleux
d’avoir encore dix ans!
Je suis enfant de Dieu mais d’une autre nature.
Ma force est souveraine et je ne parle pas,
Ma narine est sensible et mon oreille est sûre.
Si grand que vous soyez, vous ne me voyez d’en bas.
Je suis enfant de Dieu, mais je suis d’un autre âge.
Je vous ai vus jadis vous manger entre vous,
Et puis jour après jour perdre votre pelage
Et grelotter de froid tout au fond de vos trous.
Pauvres humains parleurs, du haut de mes futaies
Je vous ai vus trembler de peur et dépérir,
Allumer de grands feux pour mieux sécher vos plaies
Et j’ai battu des mains en vous voyant partir.
Moi j’ai su préserver ma vie calme et sereine,
Mes enfants sont des princes au coeur de la forêt,
Nous ne connaissons pas la folie ni la haine.
Vous, vous n’êtes plus rien, vous avez trop duré.
Au fond de mon oeil noir une étincelle brille.
Vous n’allez pas tarder à tomber à genoux,
Car je vois arriver le règne des gorilles…
Je suis enfant de Dieu, je suis plus beau que vous.
Une maison perdue entre ciel et fumée
Dressée comme un menhir, face à l’hiver qui vient
Une porte de bois qu’on n’a jamais poussée
Depuis le Moyen Âge et la niche du chien
Un chien qui s’est enfui dans la forêt voisine
Depuis cent cinquante ans et qui hurle à la mort
Pour effrayer de loin la bête pharamine
A l’heure où les sorciers mettent leur nez dehors
Une maison qui sent le lard jaune et les pommes
Avec un grand hibou immobile au grenier
Aussi seul qu’un vieux roi qui ne reçoit personne
Trônant sur des bouquins qui perdent leur papier
Photographies de belles au bois décolorées
Par cent ans de silence et qui sourient toujours
Poitrines de soldats fraîchement décorées
Vieilles dames à chignon au regard de vautour
Une maison de pierre au flanc de la montagne
D’où l’on peut voir la mer en montant sur le toit
Où l’on pourrait se croire quelque part en Espagne
Juste entre la Touraine et la Vallée des Rois
Un jardin tout autour où des milliers d’abeilles
Butineraient des fleurs dont j’ignore le nom
Et qui viendraient le soir chanter à mes oreilles
Leurs secrets, sans souci que je comprenne ou non
Une maison sans rien qu’une lampe à pétrole
Qu’on pourrait voir de loin, à trois heures du matin
Quand l’homme que je suis, retournant à l’école
Aux lignes d’un missel apprendrait le latin
Voyageurs inconnus qui ne sauriez qu’en faire
Achetez-la pour moi, je m’installe demain
Si jamais vous trouvez n’importe où sur la Terre
La maison dont je viens de vous faire un dessin
Mon Dieu,
me voilà sans doute arrivé
à la fin de moi-même,
à deux pas de la fin, je le sens,
je le souhaite et j’en ai peur
et je m’en réjouis d’avance
comme d’un jouet
tout noir
inusable et superbe
Tu ne m’as pas encore eu cette fois, la vieille.
Je t’avais vue venir avec tes gros souliers.
A force de me voir faire la sourde oreille
Tu t’es aventurée jusque sur mon palier,
J’ai su que c’était toi, alors j’ai pris la fuite.
J’avais quelques amis comme gardes du corps,
Tu m’as suivi de loin pour attendre la suite,
Tu as perdu ma trace et moi je cours encore.
Des gens que tu fréquentes assidûment, la vieille,
Mais qui ne t’aiment pas, qui te craignent surtout,
Qui se méfient de toi, la nuit, qui te surveillent.
Je les ai vus venir et j’en ai vu beaucoup,
Ils ont des blouses blanches et parlent à voix basse,
Employant à dessein des termes inconnus.
J’ai cru mon temps venu de partir à la casse,
Toi aussi, j’en suis sûr, mais j’en suis revenu.
Tout au long des couloirs, je voyais ta figure
Toujours en transparence, sur des masques éteints
De vieillards jaunâtres sous les couvertures,
Et je reconnaissais ton rictus de catin.
Tu as raté ton coup cette fois-ci, la vieille,
Je sais que ta patience est au-dessus de tout,
Que tu voles partout comme une grosse abeille,
Et tu me piqueras, peut-être au prochain coup.
J’aimerais tant savoir comment tu te réveilles,
J’aurais eu le plaisir de t’avoir vue dormir
La boucle de cheveux autour de ton oreille,
L’instant, l’instant précieux où tes yeux vont s’ouvrir.
On peut dormir ensemble à cent lieues l’un de l’autre,
On peut faire l’amour sans jamais se toucher,
L’enfer peut ressembler au Paradis des autres
Jusqu’au jardin désert qu’on n’avait pas cherché.
Quand je m’endors tout seul, comme un mort dans sa barque,
Comme un vieux pharaon je remonte le Nil.
Les années sur ma gueule ont dessiné leur marque,
Mes grands soleils éteints se réveilleront-ils?
On dit depuis toujours, « le soleil est un astre,
Il se lève à cinq heures ou sept heures du matin »,
Mais chaque heure pour moi n’est qu’un nouveau désastre,
Il n’est pas sûr du tout qu’il fera jour demain.
Je ne suis jamais là lorsque tu te réveilles,
Alors je parle seul pour faire un peu de bruit,
Mes heures s’éternisent et sont toutes pareilles,
Je ne distingue plus ni le jour ni la nuit,
Je ne crois pas en Dieu mais j’aime les églises,
Et ce soir je repense au gisant vénitien
Qui me ressemblait tant… Mais la place était prise
Toi seule sait vraiment pourquoi je m’en souviens.