Tes grâces j’en ai mille et elles sont variées,
chacune est un monde de Lumière.
Sur les deux ailes de la puissance et de la passion,
tu m’as élevé vers un monde magique — vision de tes yeux.
Je leurre le sommeil par compassion
pour un rêve ivre et bienveillant
sur de minces lèvres brunes.
Ton chuchotement plein de douceur est un murmure
que porte le zéphyr rôdant parmi les fleurs.
Ton apparition a visité mes pupilles
et les a parfumées,
combien gracieuses et parfumées
sont ces apparitions !
Dans mon cœur j’ai savouré ta voix,
vin vieux non distillé
et Lumière invisible.
Tu m’as créé du Désir
assoiffé de folies
et de pondération.
J’ai loué l’exaltante apparition
afin de lui rendre gloire,
qu’elle soit Dieu ou beauté.
Ô Étoile qui tantôt se dissimule
et qui tantôt se dévoile à moi
sous les catégories du défini
et de l’indéfini.
Tu as abandonné ta soeur l’Aurore,
le Soleil du matin a ouvert l’oeil
sur la lamentation de la délaissée.
Dans le ciel, sur le bleu humide,
je vois des sillages par Toi tracés.
J’ai des trésors de compassion intarissables,
je les ai mis à disposition de l’opprimé et du persécuté.
Je prodigue avec l’humilité d’un indigent,
hélas ! mendiant rejeté qui répand la grâce.
Mes Pierres précieuses, lasses,
sommeillent dans un flot de senteurs
après avoir voyagé à l’aube et en plein soleil.
Elles ont erré loin du Cou bienheureux
mais vers Sa splendeur
la nostalgie de la Lumière pour la Lumière
les a guidées.
(Badawi al-Jabal)
***
Recueil: Poésie Syrienne contemporaine
Traduction:de l’Arabe par Saleh Diab
Editions: Le Castor Astral
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Allons enfants de toutes les patries
Le jour de croire est enfin arrivé
Si alentour, nous semions l’harmonie
L’étendard sanglant serait lavé
Entendez vous dans les campagnes
S’unir nos précoces petits gars
Ils viennent jusque dans vos bras
Vous serrer fort et soulever des montagnes
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Amour sacré de la fratrie
Conduis soutiens nos bras enjôleurs
De la liberté, liberté chérie
Nous voilà les ambassadeurs
Militants du parti des étoiles et du vent
Des tireurs de sonnette et puis des cerfs-volants
Bambins et marmots, gardiens de l’espoir
Sans nos drapeaux que de victoires
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Quand la haine s’élève
Nous allons bienveillants
Sur le sentier de la trêve
Désarmés jusqu’aux dents
Nous livrerons bataille
Sentiments en jalons
Nos sourires pour médailles
La tendresse comme canon
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Dites, quel est le pas
Des mille pas qui vont et passent
Sur les grand’routes de l’espace,
Dites, quel est le pas
Qui doucement, un soir, devant ma porte basse
S’arrêtera ?
Elle est humble, ma porte,
Et pauvre, ma maison.
Mais ces choses n’importent.
Je regarde rentrer chez moi tout l’horizon
A chaque heure du jour, en ouvrant ma fenêtre ;
Et la lumière et l’ombre et le vent des saisons
Sont la joie et la force et l’élan de mon être.
Si je n’ai plus en moi cette angoisse de Dieu
Qui fit mourir les saints et les martyrs dans Rome,
Mon coeur, qui n’a changé que de liens et de voeux,
Eprouve en lui l’amour et l’angoisse de l’homme.
Dites, quel est le pas
Des mille pas qui vont et passent
Sur les grand’routes de l’espace,
Dites, quel est le pas
Qui doucement, un soir, devant ma porte basse
S’arrêtera ?
Je saisirai les mains, dans mes deux mains tendues,
A cet homme qui s’en viendra
Du bout du monde, avec son pas ;
Et devant l’ombre et ses cent flammes suspendues
Là-haut, au firmament,
Nous nous tairons longtemps
Laissant agir le bienveillant silence
Pour apaiser l’émoi et la double cadence
De nos deux coeurs battants.
Il n’importe d’où qu’il me vienne
S’il est quelqu’un qui aime et croit
Et qu’il élève et qu’il soutienne
La même ardeur qui monte en moi.
Alors combien tous deux nous serons émus d’être
Ardents et fraternels, l’un pour l’autre, soudain,
Et combien nos deux coeurs seront fiers d’être humains
Et clairs et confiants sans encor se connaître !
On se dira sa vie avec le désir fou
D’être sincère et d’être vrai jusqu’au fond de son âme,
De confondre en un flux : erreurs, pardons et blâmes,
Et de pleurer ensemble en ployant les genoux.
Oh ! Belle et brusque joie ! Oh ! Rare et âpre ivresse !
Oh ! Partage de force et d’audace et d’émoi,
Oh ! Regards descendus jusques au fond de soi
Qui remontez chargés d’une immense tendresse,
Vous unirez si bien notre double ferveur
D’hommes qui, tout à coup, sont exaltés d’eux-mêmes
Que vous soulèverez jusques au plan suprême
Leur amour pathétique et leur total bonheur !
Et maintenant
Que nous voici à la fenêtre
Devant le firmament,
Ayant appris à nous connaître
Et nous aimant,
Nous regardons, dites, avec quelle attirance,
L’univers qui nous parle à travers son silence.
Nous l’entendons aussi se confesser à nous
Avec ses astres et ses forêts et ses montagnes
Et sa brise qui va et vient par les campagnes
Frôler en même temps et la rose et le houx.
Nous écoutons jaser la source à travers l’herbe
Et les souples rameaux chanter autour des fleurs ;
Nous comprenons leur hymne et surprenons leur verbe
Et notre amour s’emplit de nouvelles ardeurs.
Nous nous changeons l’un l’autre, à nous sentir ensemble
Vivre et brûler d’un feu intensément humain,
Et dans notre être où l’avenir espère et tremble,
Nous ébauchons le coeur de l’homme de demain.
Dites, quel est le pas
Des mille pas qui vont et passent
Sur les grand’routes de l’espace,
Dites, quel est le pas
Qui doucement, un soir, devant ma porte
S’arrêtera ?
Ce qui se présente à nos yeux
Nous croyons le voir sûrement;
En ce qui vient à notre oreille
Nous n’avons point pareille foi.
C’est pourquoi tes chères paroles
Me furent souvent bienveillantes;
Mais un regard qui touche juste
Ne laisse point de place au leurre.
***
Aug Um Ohr
Was dem Auge dar sich stellet,
Sicher glauben wirs zu schaun;
Was dem Ohr sich zugesellet,
Gibt uns nicht ein gleich Vertraun.
Darum deine lieben Worte
Haben oft mir wohlgetan;
Doch ein Blick am rechten Orte,
Übrig lävt er keinen Wahn.
Imite donc ma joyeuse sagesse.
Droit dans les yeux regarde le moment.
Cours le trouver et sois-lui bienveillant
dans l’action, l’amour et l’allégresse.
ainsi, candide et maître du possible,
Tu seras tout, tu seras invincible.
***
Drum tu wie ich und schaue, froh verständig,
Dem Augenblick ins Auge ! Kein Verschieben!
Begegn ihm schnell, wohlwollend wie lebendig,
lm Handeln, sei’s zur Freude sei’s dem Lieben.
Nur wo du bist, sei alles, immer kindlich,
So bist du alles, bist unüberwindlich.
(Johann Wolfgang Von Goethe)
Recueil: Elégie de Marienbad
Traduction: Jean Tardieu
Editions: Gallimard
Souvent je me demande, moi, pour voir, qui je suis
– et qui je suis au moment où, surpris nu, en silence,
par le regard d’un animal, par exemple les yeux d’un chat,
j’ai du mal, oui, du mal à surmonter une gêne.
Pourquoi ce mal ?
J’ai du mal à réprimer un mouvement de pudeur.
Du mal à faire taire en moi une protestation contre l’indécence.
Contre la malséance qu’il peut y avoir à se trouver nu, le sexe exposé,
à poil devant un chat qui vous regarde sans bouger, juste pour voir.
Malséance de tel animal nu devant l’autre animal,
dès lors, on dirait une sorte d’animalséance :
l’expérience originale, une et incomparable de cette malséance
qu’il y aurait à paraître nu en vérité,
devant le regard insistant de l’animal,
un regard bienveillant ou sans pitié, étonné ou reconnaissant.
Un regard de voyant, de visionnaire ou d’aveugle extra-lucide.
C’est comme si j’avais honte, alors, nu devant le chat,
mais aussi honte d’avoir honte.
Réflexion de la honte, miroir d’une honte honteuse d’elle-même,
d’une honte à la fois spéculaire, injustifiable et inavouable.
Au centre optique d’une telle réflexion se trouverait la chose
– et à mes yeux le foyer de cette expérience incomparable qu’on appelle la nudité.
Et dont on croit qu’elle est le propre de l’homme,
c’est-à-dire étrangère aux animaux, nus qu’ils sont, pense-t-on alors,
sans la moindre conscience de l’être.
Honte de quoi et nu devant qui ?
Pourquoi se laisser envahir de honte ?
Et pourquoi cette honte qui rougit d’avoir honte ?
Devant le chat qui me regarde nu,
aurais-je honte comme une bête qui n’a plus le sens de sa nudité ?
Ou au contraire honte comme un homme qui garde le sens de la nudité ?
Qui suis-je alors ?
Qui est-ce que je suis ?
À qui le demander sinon à l’autre ?
Et peut-être au chat lui-même ?
Laissez filer les guides maintenant c’est la plaine
Il gèle à la frontière chaque branche l’indique
Un tournant va surgir prompt comme une fumée
Où flottera bonjour arqué comme une écharde
L’angoisse de faiblir sous l’écorce respire
Le couvert sera mis autour de la margelle
Des êtres bienveillants se porteront vers nous
La main à votre front sera froide d’étoiles
Et pas un souvenir de couteau sur les herbes
Non le bruit de l’oubli là serait tel
Qu’il corromprait la vertu du sang et de la cendre
Ligués à mon chevet contre la pauvreté
Qui n’entend que son pas n’admire que sa vue
Dans l’eau morte de son ombre.
(René Char)
Recueil: Poèmes et proses choisies
Traduction:
Editions: Gallimard