Je vois d’ici votre moue.
Qu’il craque, qu’il crève le vieux bonhomme !
Qu’importe ses lampées, ses mâchées,
Ses dimanches calmes comme des parasols,
Les cigarettes qu’on ressasse, le vin qui ronfle !
Vous vous foutez de ses souvenirs.
Vous avez tort, il a vécu une bien belle aventure.
Ce jour-là il pleuvait. Les gosses chahutaient de tout leur long.
Il avait filé une jeune femme. Il avait été intarissable.
Il lui avait même donné rendez-vous – sans aucune précision de lieu – pour le lendemain.
Il vous aurait raconté comment il retrouva l’altière
Aux yeux carapattant comme un bouquet de grillons.
Vous préférez qu’il se taise, crache, qu’il parte avec ses symboles.
Vous ne ferez jamais de merveilleuses rencontres sous la pluie.
La ville écrase la forêt
pour y installer son décor
sans songer au bruit que ferait
le chant de tous les oiseaux morts
On cimente les paysages
on bétonne les horizons
Nous voici arrivés à l’âge de raison
Le petit sentier de l’école
est une autoroute à six voies
qui mène à la piste d’envol
où les Boeing hurlent de joie
Il y a du goudron sur la plage
et du gas-oil sur le gazon
Nous voici arrivés à l’âge de raison
On a piétiné les ballades
et les refrains de nos printemps
on en a fait des marmelades
pour les vieillards de dix-sept ans
qui font sauter les pucelages
avec des trognons de chanson
Nous voici arrivés à l’âge de raison
Les décibels nous assassinent
les scooters nous bouffent le coeur
et la télé dans les cuisines
nous explique notre bonheur
Quand on veut rêver, les nuages
ont la forme de champignons
Nous voici arrivés à l’âge de raison
Rien à faire petit bonhomme
mets ta tête sous l’oreiller
Grand-mère a bouffé une pomme
et c’est à nous de la payer
Tiens-toi tranquille reste sage
enfoui au creux de ta maison
et laisse, laisse passer l’âge de raison
C’était un cordonnier, sans rien d’particulier
Dans un village dont le nom m’a échappé
Qui faisait des souliers si jolis, si légers
Que nos vies semblaient un peu moins lourdes à porter
Il y mettait du temps, du talent et du coeur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
A sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui
Il changeait la vie
C’était un professeur, un simple professeur
Qui pensait que savoir était un grand trésor
Que tous les moins que rien n’avaient pour s’en sortir
Que l’école est le droit qu’a chacun de s’instruire
Il y mettait du temps, du talent et du coeur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
A sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui
Il changeait la vie
C’était un p’tit bonhomme, rien qu’un tout p’tit bonhomme
Malhabile et rêveur, un peu loupé en somme
Se croyait inutile, banni des autres hommes
Il pleurait sur son saxophone
Il y mit tant de temps, de larmes et de douleur
Les rêves de sa vie, les prisons de son coeur
Et loin des beaux discours, des grandes théories
Inspiré jour après jour de son souffle et de ses cris
Il changeait la vie
« Il serait temps que je commence à écrire ces notes à l’envers, comme Léonard de Vinci,
pour dérouter les indiscrets, et surtout l’Indiscret. (Vous savez bien : Celui qui… Mais, suffit!)
Vu l’importance du Bonhomme, allons plus loin :
pas seulement les lettres à l’envers, ni les mots, mais les pensées elles-mêmes!
Car il faut toujours déjouer Ses ruses.
S’Il lui prend envie, pendant que j’écris, de regarder par-dessus mon épaule,
je veux qu’Il ne comprenne rien à ce qu’Il lira.
A dater de ce jour, 21 juin 19..,
je commence un nouveau chapitre de ce Journal Intime,
en écrivant le contraire de ce que j’éprouve, de ce que je pense.
Qui sera bien attrapé? »
(Jean Tardieu)
Recueil: La part de l’ombre
Traduction:
Editions: Gallimard
Les années passaient. Auguste ne voyait rien venir.
Les saisons allaient leur bonhomme de train,
et la main sur les yeux, Auguste, l’attentif, guettait leurs longs cortèges.
Sable des nuits, vents et marées, jus dans les vignes, Auguste et son attente.
Il ne voyait rien venir.
Mais au fond, dit Auguste, un soir de canicule,
Un petit bonhomme rouge
rencontre un petit bonhomme vert
Et cela fait des dégâts
Dans un rêve de beaux yeux
issu d’un bouquet de soucis
Et l’on se sauve et se poursuit
Nous sommes passés par ici
Nous repasserons par là
Et nous courons
Et nous rions
Tout cela n’est pas de la blague
C’est l’amour c’est la vie
C’est tes beaux yeux ma chérie.(Robert Desnos)