Afflictions du coeur et tourments de l’âme,
Demeurez au-dehors — je ne dirai plus rien !
Les yeux de l’homme bravent l’horizon des Quatre Mer
Dix mille lis ne sont pour lui que porte voisine.
L’amour fraternel ne saurait déserter
Et la distance nous ramène sans cesse au plus près.
Il serait vain de partager nos lits,
Sans avoir jamais partagé nos peurs et nos joies.
L’angoisse trop couvée n’apporte que maux et fièvres.
Infantilité ! Sentimentalité de femme !
Mais le sang et la chair à jamais séparés
Hurlent en moi amertume et peine.
Amertume et peine — que sont ces regards du cœur ?
Les décrets du Ciel n’apportent que désespoir.
Inutile donc de courir les rangs immortels.
Maître Sung nous a fait rêver trop longtemps.
Changements et malheurs sont sur nous.
Qui pourrait bien vivre au-delà de cent ans ?
Nous sommes séparés — ce sera pour toujours.
Mais j’attends encore tes mains dans les miennes.
Prince, prends soin de ton corps digne.
Et puissions-nous, ensemble,
Connaître les jours aux cheveux blancs.
Je retourne mes larmes et retrouve ma route.
Mon pinceau scelle mes voeux de vie belle.
Au revoir désormais.
(Zao Zhi)
(192-232)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Un petit soupir
A frôlé ma tempe
Un soupir jeune encore
Venu de loin
Malgré la colère du vent
Malgré le fracas des ferrailles
Perçant l’épaisseur de la terre
Bravant l’inimitable silence de la mort
Il est venu vers moi
Le dernier soupir
D’une rose
Non, je n’avalerai pas vos paroles
fantômes vos paraboles
d’inventaire, vos courbes de
Bourse de massacres.
Je choisis les cris
d’oiseaux de mer
le craquement des pierres
tout ce qui brave, hurle, éclate muettement dans le monde.
Le sang aux tempes, le coeur battant, le toc des artères,
c’est aussi ma parole
touchable
sous le doigt.
Au bord du temps
je tâte l’incertain
dans les feuilles des arbres
aux cellules pourtant si proches
de mes propres cellules, closes en cette chair
qui se retire et se rapproche
jusqu’à coller au tissu végétal
pour reconnaître
un rapport très sourd
un micron de complicité
main, feuille, ensemble,
toutes deux nervurées, actives, sève et sang,
nous affirmons, nous attestons la vie.
(Marie-Claire Bancquart)
Recueil: Voix Vives de méditerranée en méditerranée Anthologie Sète 2019
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Jardin si beau devenu sombre,
Tes fleurs attristent ma raison,
Qui, semblable au ramier dans l’ombre,
S’abat au toit de ta prison.
Mais à rêver j’ai passé l’heure ;
Vous qui nous épiez d’en bas,
Ce n’est qu’un pauvre oiseau qui pleure :
Sentinelle ! Ne tirez pas !
Au pied des barreaux formidables
Qui voilent des parents perdus,
Comme en des songes lamentables,
De longs sanglots sont entendus.
Grâce aux sanglots qui bravent l’heure !
Vous qu’ils ont irrité là-bas,
Ce n’est qu’un faible enfant qui pleure :
Sentinelle ! Ne tirez pas !
Partout les lampes sont éteintes,
Les bruits des verroux et des fers
Sont étouffés comme les plaintes
De ces silencieux enfers.
Plus morne et plus lente que l’heure,
A genoux, qui donc est là-bas ?
Ce n’est qu’une femme qui pleure :
Sentinelle ! Ne tirez pas !
Sous l’oeil rouge du réverbère,
Quel est cet objet palpitant,
Près du guichet mordant la terre,
D’âme et de pitié haletant,
Sourd au cri de l’homme et de l’heure ? …
Vous qui le menacez d’en bas,
Ce n’est qu’un pauvre chien qui pleure :
Sentinelle ! Ne tirez pas !
Paix ! Voici qu’on ouvre une porte :
C’est la mort traînant ses couleurs,
Et l’humble bière qu’on emporte,
Brise en passant de pâles fleurs.
Quand du rebelle a frappé l’heure,
Qui donc ose bénir tout bas ?
Ce n’est qu’un vieux prêtre qui pleure :
Sentinelle ! Ne tirez pas !
Un jour j’étais couché sur maigre touffe d’herbe
Naturellement j’imaginais ma mort dans cette posture
Un autre jour j’étais à l’écoute du ciel
Et je riais de ses hôtes et de leurs trompettes pour rien
Sur maigre touffe d’herbe
Parle un fantôme
Tu m’avais dit que je verrais les anges
Au fond du ciel !
Je n’aperçois que d’autres touffes de buée
Puis plus rien
Que peut faire un mortel de sa voix mortelle
Si le gouffre est plein d’ailes que je ne vois pas
O sainte guerre!
Dormir sur l’herbe comme un mort
Voyager dans chaque heure avec l’idée de mon
fantôme
Braver le concert des témoins d’en haut
Manger de l’os sous la pulpe
De la cendre humide sous l’herbe humide de la seule
Rosée!
Bravant marées vents et fantômes
Ton souvenir vient jusqu’à moi
Quand tombent les feuilles d’automne
Quand s’éternise au long des mois
L’amour et la peine des hommes.
Kara Théiôn, ô ma Jocaste
« Tête chère » bardée de fer,
En bandoulière j’ai le masque
Au ceinturon balle le casque
— Je suis aux portes de l’enfer —
J’ai vu des soirs si longs, si tendres,
Une musique et des ave
Qu’on n’en finissait pas d’entendre
Et j’ai vu des chevaux crevés
Dans les fossés couleur de cendre
J’ai vu les femmes que j’aimais
Mêlées au vent de mes détresses
Mais une seule, pour jamais
En silence dénoue ses tresses
Sur mes nuits et mes désormais
Issue des flammes de la mer
Ô ma grande femme de nacre,
Ma Vénus, le voici ton sacre !
Il sonne dans mon coeur amer
Le dur temps de nos épousailles.
Mes astres, mes soleils, mes lampes
Tout ce que j’aimais au rebours
Sombre dans l’arroi des tambours.
Donne-moi la vertu patience :
Je voudrais revivre l’amour.
Vous mes amis, mes camarades
Ou compagnons des jours sans peur ,
Soutenez-moi. Portez mon coeur,
Protégez-moi de votre grâce,
De votre armure de douceur.
Bravant tempête, vent et pluie
Noirs de suie,
Noirs de sueur,
Nous passons à toute vapeur.
Sur le train qui chemine
Nous sommes maîtres après Dieu
S’il en est un dans les cieux
Le charbon de la mine
Flambe dans nos machines.
(Bravant tempête, vent et pluie,
Noirs de sueur, noirs de suie
À coups de sifflets dans la nuit
Nous passons et le feu luit.)
Refrain
Peau noire, oeil blanc, par les voies
Les mécaniciens
Qu’ils soient tristes, qu’ils soient en joie
P.L.M. ou Transsibérien
Sous le soleil ou sous la pluie
Ardents voyageurs
Barbouillés de sueur et de suie
Passent à toute vapeur.
(Robert Desnos)
Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier
1
On ne quitte pas son ami
Comme un soulier
Dont la semelle prend la boue et la pluie
On n’use pas l’amitié
Et c’est bien ainsi.
Quand ils ont bien choisi
Main dans la main,
Deux amis bravent le destin
La même flamme éclaire leur visage
Leur visage.
2
Théodule aux yeux de chouette
A un ami
C’est le bel Ernest au nez en trompette
Qu’il n’aime pas qu’à demi
Et c’est bien ainsi.
Car il a bien choisi
Main dans la main
Ils peuvent braver le destin
Leur coeur est beau, qu’importe leur visage
Leur visage.
3
Théodule n’a que deux mains,
C’est un homme
Mais pour défendre Ernest, ce seront deux poings
Qui frappent et qui assomment
Et c’est bien ainsi
Car ils ont bien choisi
Main dans la main
Ils peuvent braver le destin
Leur coeur est beau, qu’importe leur visage
Leur visage.
(Robert Desnos)
Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier