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MÉMORIAL DE TLATELOLCO (Rosario Castellanos)

Posted by arbrealettres sur 12 avril 2023



Massacre de Tlatelolco
    
MÉMORIAL DE TLATELOLCO

L’obscurité engendre la violence
et la violence veut l’obscurité
pour se coaguler en crime.

C’est pourquoi le Deux Octobre patienta jusqu’à la nuit
afin que nul ne vît la main qui avait saisi
l’arme, mais seulement l’éclair.

Et dans cette lumière brève et livide, qui ? Qui est celui qui tue ?
Qui sont ceux qui agonisent et ceux qui meurent ?
Ceux qui fuient nu-pieds ?
Ceux qui vont tomber au fond d’une prison ?
Ceux qui vont pourrir à l’hôpital ?
Ceux qui restent muets à jamais d’épouvante ?

Qui ? Lesquels ? Personne. Le lendemain, personne.
La place à l’aube était bien balayée ; les journaux
donnaient comme information principale
le temps qu’il faisait.
Télévision, radio ou cinéma,
pas de changement de programme,
pas de flash spécial, pas de minute
de silence pendant le banquet.
(Le banquet continua.)

Ne cherche pas ce qui n’est pas : des traces, des cadavres
Tout a été donné en offrande à une divinité :
la Dévoreuse d’Excréments.

Ne consulte pas les archives : il n’y a eu aucun rapport.

Hélas, la violence veut l’obscurité
parce que l’obscurité engendre le rêve
et nous pouvons dormir en rêvant que nous rêvons.

Mais il y a une plaie que je touche : ma mémoire.
Elle a mal donc c’est vrai. Elle saigne à sang.
Si je dis qu’elle est mienne, je trahis tous les autres.

Je me souviens, nous nous souvenons.

C’est notre façon d’aider le jour à se lever
sur tant de consciences souillées,
sur un texte de colère, sur une grille ouverte,
sur le visage derrière l’impunité du masque.

Je me souviens, nous nous souviendrons
jusqu’à ce que la justice vienne parmi nous.

(Rosario Castellanos)

Recueil: Poésie du Mexique
Traduction: Jean-Clarence Lambert
Editions: Actes Sud

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L’HEURE (Hermann Hesse)

Posted by arbrealettres sur 28 mars 2023



Illustration: Edvard Munch
    
L’HEURE

Partir encor, je l’aurais pu
Et rien ne serait advenu,
Tout serait resté pur et beau
Ainsi qu’avant ce jour nouveau.

Il le fallait, l’heure arriva,
Brève, trouble, et nous enleva,
De son pas qui s’enfuit sans cesse,
Le bel éclat de la jeunesse.

***

DIE STUNDE

Es war noch Zeit ; ich konnte gehn,
Und alles wäre ungeschehn,
Und alles wäre rein und klar,
Wie es vor jenem Tage war !

Es mußte sein. Die Stunde kam,
Die kurze, schwüle, und sie nahm
Unwandelbar mit jähem Schritt
Den ganzen Glanz der Jugend mit.

(Hermann Hesse)

Recueil: Poèmes choisis
Traduction: Jean Malaplate
Editions: José Corti

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Puisqu’il nous est refusé (Jaroslav Seifert)

Posted by arbrealettres sur 12 mars 2023




    
Puisqu’il nous est refusé
de garder en mémoire
la chaleur du sang maternel,
nous pouvons au moins revenir sans cesse
à notre enfance,
cette brève béatitude
qui, de toute façon, est la dernière
de notre existence.

Ejectés dans la vie,
nous ne faisons ensuite qu’un long détour
depuis le premier cri,
quand, pour la première fois, la lumière nous blesse les yeux,
jusqu’au moment où le doigt entouré d’un foulard
nous les refermera,
pour que nous engloutisse à nouveau
la nuit consolatrice.

(Jaroslav Seifert)

Recueil: Les danseuses passaient près d’ici
Traduction: Petr Kral et Jan Rubes
Editions: Actes Sud

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JE NE PEUX VIVRE (Claude de Burine)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2023




    
JE NE PEUX VIVRE

Je ne peux vivre sans toi
Exister sans toi
Vider le chemin des perles
Et dire :
«Le coucou dicte ses nouvelles brèves
Il faut déterrer les roses
La pie que tu aimes
A son habit du soir»
La source est trouble
La neige est sale
Même le bouleau ne chante plus
Cette nuit de chouette et de larmes.

(Claude de Burine)

Recueil: A Henri de l’été à midi
Editions: Saint Germain des Prés

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L’AUBERGE DES ERRANTS (Hermann Hesse)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2023




    
L’AUBERGE DES ERRANTS

Comme il est étrange et saisissant
Que chaque nuit, sans cesse,
Coule la fontaine discrète
Dans l’ombre fraîche des érables,

Et encore et toujours, tel un parfum,
S’étale le clair de lune sur les toits,
Et par les airs, frais et sombres,
Vole l’essaim léger des nuages.

Tout cela existe, est bien réel,
Mais nous, errants, reposons une nuit,
Puis repartons par les champs,
Et nul ne pense plus à nous.

Bien plus tard, des années après peut-être,
Un rêve en nous évoque la fontaine,
La porte et le toit, et comme tout était là,
Et comme maintenant et longtemps encore tout sera là.

C’est en nous un petit jardin familier,
Et pourtant il n’y eut qu’une halte brève,
Un toit étranger pour l’hôte inconnu,
Il ignore la ville et le nom.

Comme il est étrange et saisissant
Que chaque nuit, sans cesse,
Coule la fontaine discrète
Dans l’ombre fraîche des érables…

(Hermann Hesse)

 

Recueil: L’Allemagne en Poésie
Traduction: Rémi Laureillard
Editions: Folio Junior

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La belle s’appelait mademoiselle Amable (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 12 février 2023



Illustration: Pierre-Auguste Renoir
    
La belle s’appelait mademoiselle Amable.
Elle était combustible et j’étais inflammable.
Un treize, je la vis passer sur le Pont-Neuf ;
Les Grâces étaient trois, les Muses étaient neuf;
Et c’est là ce qui fait sacré le nombre douze,
Et treize fatal. Donc, un treize, une andalouse
De Pantin, telles sont les rencontres qu’on a,
Amable, d’un regard charmant, m’assassina.
Duel, duo. Sous l’œil paternel des édiles,..
Il naît sur le Pont-Neuf beaucoup de ces idylles.

Je la qualifiai d’ange, un mois à peu près.
Bref, je me demandais un jour si je romprais,
Quand, par un doux soleil d’avril, entre deux pluies,
Je reçus ce billet de l’ange: « Tu m’ennuies.
Bonsoir. » -Ce qui me fit furieux. D’autant plus
Que c’est elle, parbleu, qui m’ennuyait le plus.

(Victor Hugo)

Recueil: Toute la lyre
Traduction:
Editions:

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Bref (Barbara)

Posted by arbrealettres sur 12 février 2023



Illustration: Margarita Sikorskaia
    
Bref

La fille, pour son plaisir,
Choisit le matelot.
L’eau voulut des navires
Pour voguer à son eau.
L’homme choisit la guerre
Pour jouer au soldat
Et partit pour la faire
Sur l’air de « Ca ira ».
Bref, chacun possédait
Ce qu’il avait souhaité.

Moi, je voulais un homme
Ni trop laid, ni trop beau,
Qui promènerait l’amour
Sur les coins de ma peau,
Un homme qui, au petit matin,

Me prendrait par la main
Pour m’emmener croquer
Un rayon de soleil.
Moi, je voulais un homme.
A chacun sa merveille
Et la vie, en passant
Un jour, me l’amena.

Puis, la fille prit des coups
Par son beau matelot.
La guerre, en plein mois d’août,
Nous faucha le soldat.
Le navire qui passait
Juste à ce moment-là,
Le navire qui passait
Prit l’eau et puis coula.
Bref, on ne sait pourquoi
Mais tout se renversa.

Moi, je pris en plein coeur
Un éclat de son rire
Quand il jeta mon bonheur
Dans la fosse aux souvenirs.
Je le vis s’en aller,
Emportent mon soleil,
Emportant mes étés.
J’avais voulu un homme.
J’aurais dû me méfier :
Cette garce de vie,
Un jour, me le reprit.

Qu’importe si la vie
Nous donne et nous reprend
Puisqu’ici-bas, tout n’est
Que recommencement.
La fille, pour son plaisir,

Reprendra des matelots.
On refera des navires
Pour le ventre de l’eau.
Y aura toujours des guerres
Pour jouer aux soldats
Qui s’en iront les faire
Sur l’air de « Ca ira ».

Eh ben moi, je reprendrai un homme.
Pas de mal à ça,
Un homme.
Les hommes, j’aime ça.
Un homme, un homme, un homme…

(Barbara)

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VIEILLIR VI (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 15 janvier 2023



Illustration: Ron Mueck
    
VIEILLIR VI

Cette maladie
Si difficile
A affronter
Cette perte de liens
Avec l’univers
Cette confrontation
De la mort
Ce passage si bref
Cette demeure si close
Bientôt infinie

Cette perte des liens
Avec l’univers
Cette confrontation
De la mort
Ce temps si court
Ces souvenirs
Bientôt finis
Cette absurdité
Cette ouverture
Sur l’infini
Cette interruption

(Andrée Chedid)

 

Recueil: L’Étoffe de l’univers
Traduction:
Editions: Flammarion

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LE FIL DES JOURS (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 15 janvier 2023




    
LE FIL DES JOURS

Tu tisses le voile noir
Du deuil
Sur le voile
Des naissances

Brèves sont nos années
Injuste le temps de vie
Le fil des jours
Se trame
Le rideau s’ouvre
Je m’anime d’exister
Et renais
À chaque aube

J’apprends à vivre
Dans la durée
Parfois austère
Parfois trop sage

Tantôt alerte
Tantôt espiègle
Tantôt ardente
J’attise mes jours
De passion.

(Andrée Chedid)

 

Recueil: L’Étoffe de l’univers
Traduction:
Editions: Flammarion

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Cailloux roulant sur cailloux (Michel Butor)

Posted by arbrealettres sur 19 décembre 2022



Illustration: Catherine Ernst
    
Cailloux roulant sur cailloux
s’entraînant l’un après l’autre
dans une lente avalanche
produisant ici et là
des accumulations brèves
que le vent fait s’écrouler
ou le galop d’un chamois

(Michel Butor)

 

Recueil: Montagnes en gestation
Traduction:
Editions: Notari

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