Il attend que passe un Noël
et fait le mort tout un hiver.
La neige chenue couvre ses épaules.
Des aiguilles de glace pendent à ses mains gélives.
Il a fermé les portes et les volets de liège,
calfeutré ses bourgeons.
Il s’est endormi,
un écureuil et deux hiboux
sur le coeur.
Je me souviens de ces matins d’hiver
Dans la nuit sombre et glacée
Quand je marchais à côté de mon frère
Sur le chemin des écoliers
Quand nos membres encor’ tout engourdis de sommeil
Grelottaient sous les assauts du vent
Nous nous battions à grands coups de boules de neige
En riant
Nous arrivions dans la salle de classe
Où le maître nous séparait
Nous retrouvions chaque jour notre place
Et l’on ne pouvait plus se parler
Puis bercés par les vagues d’une douce chaleur
Que nous prodiguait le vieux poêle
Nos esprits s’évadaient pour se rejoindre ailleurs
Vers des plages
Où il fait toujours beau
Où tous les jours sont chauds
Où l’on passe sa vie à jouer
Sans songer à l’école
En pleine liberté
Pour rêver
Où il fait toujours beau
Où tous les jours sont chauds
Où l’on passe sa vie à jouer
Sans songer à l’école
En pleine liberté
Pour rêver
Je me souviens de l’odeur fade et chaude
De notre classe calfeutrée
Des premières lueurs pâles de l’aube
A travers les vitres givrées
Je revois les yeux tendres et les visages tristes
Qui autour de moi écoutaient
Et pendant les leçons dans mon coin je rêvais
A des îles
Où il fait toujours beau
Où tous les jours sont chauds
Où l’on passe sa vie à jouer
Sans songer à l’école
En pleine liberté
Pour rêver (bis).
La douceur de l’angélus matinal et divin
que dispensent d’ingénues cloches provinciales,
dans l’air innocent, avec la force des pétales,
des prières, des visions virginales et des refrains
du rossignol, s’opposant en tout au rude destin
qui en Dieu ne croit pas… La pelote du jour en déclin
que le soir dévide derrière d’opaques cristaux
pour tisser d’une seule pièce l’étoffe de nos maux,
tout entiers faits de chair et parfumés de vin…
Et cette atroce amertume de n’avoir point de goût,
de ne pas savoir vers où diriger notre proue,
tandis que le pauvre esquif dans la nuit calfeutrée,
avance sur les vagues hostiles et de l’aurore privé…
(O cloches suaves, que l’aube fasse son entrée !)
(Rubén Darío)
Recueil: Chants de vie et d’espérance
Traduction: Lionel Igersheim
Editions: Sillage