… ces gens de tout repos,
Qui font tout bonnement tous une même chose.
Je m’ennuie à mourir sur ce chemin morose…
Je n’aime pas brouter l’herbe déjà tondue,
Ce petit foin sans goût, sans fleur inattendue.
Rien de nouveau, rien, rien… Tout est toujours pareil.
Je m’échappe, je cours à travers la campagne,
Je bondis pour trouver quelque peu de montagne,
Je grimpe à des talus très hauts de chemins creux.
On est très bien tout seul, sans moutons, si loin d’eux
Qu’ils semblent tout au fond du val des pierres grises.
Les thyms inviolés ont des saveurs exquises…
Je cours, je broute ici, puis là… je perds du temps,
Je hume l’odeur froide et sauvage des vents.
(Marie Noël)
Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers
Murs blancs, toit rouge, c’est l’Auberge fraîche au bord
Du grand chemin poudreux où le pied brûle et saigne,
L’Auberge gaie avec le Bonheur pour enseigne.
Vin bleu, pain tendre, et pas besoin de passe-port.
Ici l’on fume, ici l’on chante, ici l’on dort.
L’hôte est un vieux soldat, et l’hôtesse, qui peigne
Et lave dix marmots roses et pleins de teigne,
Parle d’amour, de joie et d’aise, et n’a pas tort !
La salle au noir plafond de poutres, aux images
Violentes, Maleck Adel et les Rois Mages,
Vous accueille d’un bon parfum de soupe aux choux.
Entendez-vous ? C’est la marmite qu’accompagne
L’horloge du tic-tac allègre de son pouls.
Et la fenêtre s’ouvre au loin sur la campagne.
Ma mort
Est morte avec toi
Jamais plus je n’aurai les fleurs
Leurs confidences
D’enfant au rosier.
Jamais plus je n’aurai le saule
Son doux visage d’orphelin
Ce «oui» coloré
Qu’on appelle la vie.
Le printemps est venu sans toi
Et je mourrai sans toi
Sans lui
Sur le territoire des cigognes
Sous la protection des mûres
Le long des noisetiers
Contre leurs doigts de joueurs d’échecs.
Qu’on me donne l’hiver
Son ventre plat
Son rire éteint de graminée
La neige fine de sa lampe
Et que j’éclate au loin
En campagne
En mer
Que je coule avec toi
Et sans fin avec toi
Morte avec toi
Un soir de safran
Et d’ornières.
(Claude de Burine)
Recueil: A Henri de l’été à midi
Editions: Saint Germain des Prés
Je marche tout seul le long de la ligne de chemin de fer
Dans ma tête y a pas d’affaires
Je donne des coups de pied dans une petite boîte en fer
Dans ma tête y a rien à faire
Je suis mal en campagne et mal en ville
Peut-être un petit peu trop fragile
Allô Maman bobo
Maman, comment tu m’as fait, je suis pas beau
Allô Maman bobo
Allô Maman bobo
Je traîne fumée, je me retrouve avec mal au cœur
J’ai vomi tout mon quatre heures
Fêtes, nuits folles, avec les gens qu’ont du bol
Maintenant que je fais du music-hall
Je suis mal à la scène et mal en ville
Peut-être un petit peu trop fragile
Allô Maman bobo
Maman comment, tu m’as fait, je suis pas beau
Allô Maman bobo
Allô Maman bobo
Moi je voulais les sorties du port à la voile
La nuit, barrer les étoiles
Moi les chevaux, le revolver et le chapeau de clown
La belle Peggy du saloon
Je suis mal en homme dur
Et mal en petit cœur
Peut-être un petit peu trop rêveur
Allô Maman bobo
Maman, comment tu m’as fait, je suis pas beau
Allô Maman bobo
Allô Maman bobo
Je marche tout seul le long de la ligne de chemin de fer
Dans ma tête y a pas d’affaires
Je donne des coups de pied dans une petite boîte en fer
Dans ma tête y a rien à faire
Je suis mal en campagne, j’suis mal en ville
Peut-être un petit peu trop fragile
Allô Maman bobo
Maman, comment tu m’as fait, je suis pas beau
Allô Maman bobo
Allô Maman bobo
Allô Maman bobo
Maman, comment tu m’as fait, je suis pas beau
Allô Maman bobo
Allô Maman bobo
Allô Maman bobo
Maman, comment tu m’as fait, je suis pas beau
Prends garde c’est l’instant où se rompent les digues
C’est l’instant échappé aux processions du temps
Où l’on joue une aurore contre une naissance
Bats la campagne
Comme un éclair
Répands tes mains
Sur un visage sans raison
Connais ce qui n’est pas à ton image
Doute de toi
Connais la terre de ton coeur
Que germe le feu qui te brûle
Que fleurisse ton oeil
Lumière.
(Paul Éluard)
Recueil: Les mains libres
Traduction:
Editions: Gallimard
L’herbe du défilé sous un halo de brouillard s’étale,
De la Wei en remous s’entend le grondement.
Les vagues de pluie du printemps s’apaisent,
une légère poussière se répand,
On monte en selle pour partir en campagne.
Voyez là si verdoyants les saules,
Dont ici on a tiré et brisé un rameau.
On se met en branle le coeur lourd,
Qui sait en quelle saison nous serons à nouveau réunis ?
Alors, vidons encore un verre,
Chantons encore un air !
On soupire sur l’existence,
Si amer de passer d’une joyeuse compagnie aux adieux, au départ.
Aussi ne nous dérobons pas à l’ivresse profonde,
Prêtons l’oreille aux « Passes du Soleil » jusqu’au bout.
Quand nous repenserons à nos chers vieux amis,
Éloignés de cent lieues, avec eux nous partagerons le clair de lune.
***
(Kòu Zhùn) (961-1023)
Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise
Compartiments vides… La lumière cille
Et dans le grondement sourd vacille,
La plaine muette s’étale solitaire;
Il est dur de voyager à cette heure…
Le contrôleur appuyé à la vitre regarde fixement,
Ses yeux se perdent dans la plaine obscure,
Le coeur s’arrêterait, le train se hâte;
Il est dur d’être seul à cette heure…
Le coeur s’arrêterait et plongerait
Dans ce silence muet, des vallées noires,
Le coeur s’arrêterait et se cacherait
Devant l’épouvante issue du souvenir;
Dans la maison, à la campagne, la fille éteindrait
La lumière devant la peur des lointains inconnus.
Écoute bien, ma sœur d’ici.
C’était la vieille chambre bleue
De la maison de mon enfance.
J’étais né là.
C’est là aussi
Que m’apparut jadis, dans le recueillement de la vigile,
Mon premier arbre de Noël, cet arbre mort devenu ange
Qui sort de la profonde et amère forêt,
Qui sort tout allumé des vieilles profondeurs
De la forêt glacée et chemine tout seul,
Roi des marais neigeux, avec ses feux follets
Repentis et sanctifiés, dans la belle campagne silencieuse et blanche :
Et voici les fenêtres d’or de la maison de l’enfant sage.
Vieux, très vieux jours ! si beaux, si purs ! c’était la même chambre
Mais froide pour toujours, mais muette, mais grise.
Elle semblait avoir à jamais oublié
Le feu et le grillon des anciennes veillées.
Il n’y avait plus de parents, plus d’amis, plus de serviteurs !
Il n’y avait que la vieillesse, le silence et la lampe.
Il n’y a rien de caché,
tout est là sous nos yeux,
la vie passée, la vie présente et la vie future,
comme trois petites filles échangeant en riant des confidences
sur une route de campagne.
Pour Joséphine,
quelques nouvelles après tant d’années
Qu’espères-tu, qu’attends-tu, mon amie,
qui reviens en un si triste voyage
jusqu’ici où les bourrasques
font entendre au soleil leur voix très forte et endeuillée,
au parfum de jasmin et de terre éboulée ?
Me voici à cet âge que tu sais,
ni jeune ni vieux, j’attends, je regarde
ces vicissitudes comme suspendues ;
je ne sais plus ce que j’ai voulu, ce qu’on m’a imposé,
tu entres dans mes pensées et tu en sors intacte.
Pour le reste, ce qui doit être est encore,
le fleuve coule, la campagne change,
il grêle, il ne pleut plus, un chien aboie,
la lune apparaît, rien ne s’éveille
rien ne sort de ce long sommeil aventureux.
***
Notizie a Giuseppina dopo tanti anni
Che speri, che ti riprometti, amica,
se torni per cosi cupo viaggio
fin qua dove nel sole le burrasche
hanno una voce altissima abbrunata,
di gelsomino odorano e di frane ?
Mi trovo qui a questa età che sai,
né giovane né vecchio, attendo, guardo
questa vicissitudine sospesa;
non so più quel che volli o mi fu imposto,
entri nei miei pensieri e n’esci illesa.
Tutto l’altro che deve essere è ancora,
il fiume scorre, la campagna varia,
grandina, spiove, qualche cane latra,
esce la luna, niente si riscuote,
niente dal lungo sonno avventuroso.
(Mario Luzi)
Traduction de Moussia et Jean-Marie Barnaud
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers