« Une touffe de fleurs où trembleraient des larmes. »
(SAMAIN).
L’ondée a fait rentrer les enfants en déroute,
La nuit vient lente et fraîche au silence des routes,
Et mon cœur au jardin s’épanche goutte à goutte
Si discret, maintenant, et si pur… qu’à l’aimer
On pourrait se risquer – Oh ! Belle qui viendrez,
Vous ouvrirez la grille un soir mouillé de mai.
Timidement, avec des doigts qui se méfient,
Et qui tremblent… un peu, vous ouvrirez, ravie
D’amour et de fraîcheur et de frayeur… un peu.
Les lilas aux barreaux sont encore lourds de pluie…
Qui sait si les lilas, inclinés, lourds d’aveux,
Vont pas pleurer sur vos cheveux !…
Vous irez, doucement, tout le long des bordures,
Chercher des fleurs pour vous les mettre à la ceinture
Mes pensées frissonnantes pour en faire un bouquet
Gardez-vous bien, surtout, de passer aux sentiers
Où les herbes, ce soir, ont d’étranges allures,
Où les herbes sont folles et meurent de rêver !…
Si vous alliez mouiller vos petits pieds !…
Les rondes folles se sont tues,
Les herbes folles vont dormir.
L’allée embaume à en mourir…
Tu peux venir, ma bienvenue !
Tout le soir, sagement, tu descendras l’allée
Tiède d’amour, de pétales et de rosée.
Tu viendras t’accouder au ruisseau de mon cœur
Y délier ta cueillette, y délier fleur à fleur
La candeur des jasmins et l’orgueil des pensées.
Et tout le soir, dans l’ombre humide et parfumée,
Débordant de printemps, de pluie et de bonheur,
Les larges eaux de paix, les eaux fleurdelisées
Rouleront vers la Nuit des branches et des fleurs…
Si, des femmes, toutes les mains voulaient s’enlacer,
Pour former une ceinture embrassant l’Univers;
Si, des femmes, toutes les voix fredonnaient le même air,
Dissiper la langueur, et prôner liberté;
Si, des femmes, tous les cœurs battaient au même rythme,
Ranimer le vieux monde, par le mal étouffé;
Si seulement toutes les femmes le voulaient bien;
Il naîtrait au vieux monde un cœur neuf, plein d’amour et de vie,
Impulsant sans arrêt du bonheur à foison.
(Ndèye Coumba Diakhaté)
Recueil: Filles du soleil
Traduction:
Editions: Nouvelles Éditions africaines
Tu m’as désossée
soigneusement
m’inscrivant
dans ton univers
comme une blessure
une prothèse parfaite
maudite nécessaire
tu as détourné mes veines
pour qu’elles se vident
dans les tiennes
irrémédiablement
en toi un demi-poumon respire
l’autre, que je sache
existe à peine
Aujourd’hui je me suis levée tôt
j’ai enduit de tacula* et d’eau froide
mon corps enflammé
je ne battrai pas le beurre
je ne mettrai pas la ceinture
j’IRAI
vers le sud sauter l’enclos
* Tacula: poudre rouge utilisée comme cosmétique.
(Paula Tavares)
Traduit du portugais par Michel Laban,
in Poésie d’Afrique au sud du Sahara, Actes Sud/Unesco,1995.
Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Le matin le brouillard cache
La vague endormie
Qui se réveille avec
Un bâillement de bateau
Un courant furtif
Entoure d’un clapotis
La barque attachée à la berge
Et ma Seine m’entraîne
En rêve jusqu’à la mer
Elle ceinture une robe
Bariolée de champs vastes
Et de jardins petits
De villes et de villages
Elle étrangle
Des îlots de verdure
Glisse sous les ponts
Ses anneaux
Secoués de convulsions
Et avale la lente navigation
De lourdes péniches
Qu’elle digère mal.
Je suis une petite fille
Mais je mets des pantalons.
J’ai beau m’appeler Pétronille
J’aime mieux être un garçon.
Quand la crémière m’interpelle
Bonjour ma petite demoiselle »
Exprès je lui réponds
« Bonjour M’sieur Potiron. »
Quand le boucher s’écrie
« Qu’est-ce que veut aujourd’hui
Ma petite escalope ? »
Je fronce les sourcils
Et lui dis . « Du persil,
Mademoiselle Pénélope. »
Ça crée la confusion.
J’ai beaucoup d’caractère
Beaucoup de formation
Et sous mes petits airs
Se cache un grand garçon.
Je n’aime pas les filles
Aux réflexes sanguins
Moites sous les charmilles
Et pâles dans les trains.
Quand on est un garçon
On siffle dans ses doigts
On est Ali-Babas
On grimpe sur les toits.
On s’en va sur les mers
Où y’a plein de moutons.
On vole dans les airs
Avec les électrons.
Et devant ces exploits
Tout l’monde reste baba.
« Non Maman, pas ma robe, je veux mon pantalon
Ma ceinture de cuir, mon colt, mes munitions .
Je vais faire un hold-up
A Plessis-Robinson. »
I
L’aurore s’allume ;
L’ombre épaisse fuit ;
Le rêve et la brume
Vont où va la nuit ;
Paupières et roses
S’ouvrent demi-closes ;
Du réveil des choses
On entend le bruit.
Tout chante et murmure,
Tout parle à la fois,
Fumée et verdure,
Les nids et les toits ;
Le vent parle aux chênes,
L’eau parle aux fontaines ;
Toutes les haleines
Deviennent des voix !
Tout reprend son âme,
L’enfant son hochet,
Le foyer sa flamme,
Le luth son archet ;
Folie ou démence,
Dans le monde immense,
Chacun. recommence
Ce qu’il ébauchait.
Qu’on pense ou qu’on aime,
Sans cesse agité,
Vers un but suprême,
Tout vole emporté ;
L’esquif cherche un môle,
L’abeille un vieux saule,
La boussole un pôle,
Moi la vérité !
II
Vérité profonde !
Granit éprouvé
Qu’au fond de toute onde
Mon ancre a trouvé !
De ce monde sombre,
Où passent dans l’ombre
Des songes sans nombre,
Plafond et pavé !
Vérité, beau fleuve
Que rien ne tarit !
Source où tout s’abreuve,
Tige où tout fleurit !
Lampe que Dieu pose
Près de toute cause !
Clarté que la chose
Envoie à l’esprit !
Arbre à rude écorce,
Chêne au vaste front,
Que selon sa force
L’homme ploie ou rompt,
D’où l’ombre s’épanche ;
Où chacun se penche,
L’un sur une branche,
L’autre sur le tronc !
Mont d’où tout ruisselle !
Gouffre où tout s’en va !
Sublime étincelle
Que fait Jéhova !
Rayon qu’on blasphème !
Oeil calme et suprême
Qu’au front de Dieu même
L’homme un jour creva !
III
Ô Terre ! ô merveilles
Dont l’éclat joyeux
Emplit nos oreilles,
Eblouit nos yeux !
Bords où meurt la vague,
Bois qu’un souffle élague,
De l’horizon vague
Plis mystérieux !
Azur dont se voile
L’eau du gouffre amer,
Quand, laissant ma voile
Fuir au gré de l’air,
Penché sur la lame,
J’écoute avec l’âme
Cet épithalame
Que chante la mer !
Azur non moins tendre
Du ciel qui sourit
Quand, tâchant d’entendre
Je cherche, ô nature,
Ce que dit l’esprit,
La parole obscure
Que le vent murmure,
Que l’étoile écrit !
Création pure !
Etre universel !
Océan, ceinture
De tout sous le ciel !
Astres que fait naître
Le souffle du maître,
Fleurs où Dieu peut-être
Cueille quelque miel !
Ô champs ! ô feuillages !
Monde fraternel !
Clocher des villages
Humble et solennel !
Mont qui portes l’aire !
Aube fraîche et claire,
Sourire éphémère
De l’astre éternel !
N’êtes-vous qu’un livre,
Sans fin ni milieu,
Où chacun pour vivre
Cherche à lire un peu !
Phrase si profonde
Qu’en vain on la sonde !
L’oeil y voit un monde,
L’âme y trouve un Dieu !
Beau livre qu’achèvent
Les coeurs ingénus ;
Où les penseurs rêvent
Des sens inconnus ;
Où ceux que Dieu charge
D’un front vaste et large
Ecrivent en marge :
Nous sommes venus !
Saint livre où la voile
Qui flotte en tous lieux,
Saint livre où l’étoile
Qui rayonne aux yeux,
Ne trace, ô mystère !
Qu’un nom solitaire,
Qu’un nom sur la terre,
Qu’un nom dans les cieux !
Livre salutaire
Où le cour s’emplit !
Où tout sage austère
Travaille et pâlit !
Dont le sens rebelle
Parfois se révèle !
Pythagore épèle
Et Moïse lit !
(Victor Hugo)
Recueil: Les rayons et les ombres
Traduction:
Editions: Bayard Jeunesse
Ils vivaient tous les deux à la campagne, le marquis et le colonel.
Vieux tous les deux, goutteux et, ce qu’il y a de pire,
quinteux tous les deux, ils se faisaient de mutuelles visites;
le soir, ils se réunissaient pour jouer au reversis
et se rappeler ensemble leur vie passée.
Ce marquis, c’était le Myrte; ce colonel, c’était le Laurier.
L’un avait constamment vécu à la cour,
l’autre n’avait presque pas quitté les camps.
Ils s’étaient retrouvés après une longue absence,
et quoiqu’on dise que le myrte et le laurier sont frères,
le marquis et le colonel passaient leur temps à se quereller:
—Une belle doit se prendre d’assaut comme une citadelle.
—Il n’y a que les attentions délicates
qui séduisent la beauté.
—Un front couronné de laurier
n’a qu’à se montrer pour subjuguer les plus rebelles.
—C’est avec une ceinture de myrte
qu’on enlace les amours.
— Vous qui faites la jolie et l’enjôleuse
Marguerite au rouet lent pourquoi filer ? —
— Je veux faire une ceinture merveilleuse
pour donner à mon Gottlieb ensorcelé —
Sur le pont d’Avignon qui viendra danser ?
— La mignonne, vous qui faites l’endormie,
La mignonne au rouet lent pourquoi songer ?
— Je veux être de Gottlieb la douce amie
Et lui ceindre mon costume d’or frangé –
Sur le pont d’Avignon iront-ils danser ?
Elle n’est plus la jolie et l’enjôleuse
— Marguerite au rouet lent pourquoi pleurer
Elle ne filera plus ô la fileuse :
Son Gottlieb d’une autre écharpe s’est paré.
Ne crains pas de puiser aux réduits du cellier
Le vin scellé quatre ans dans l’amphore rustique ;
Laisse aux Dieux d’apaiser la mer et l’orme antique,
Thaliarque ! Qu’un beau feu s’égaye en ton foyer !
Pour toi, mets à profit la vieillesse tardive :
Il est plus d’une rose aux buissons du chemin.
Cueille ton jour fleuri sans croire au lendemain ;
Prends en souci l’amour et l’heure fugitive.
Les entretiens sont doux sous le portique ami ;
Dans les bois où Phoebé glisse ses lueurs pures,
Il est doux d’effleurer les flottantes ceintures
Et de baiser des mains rebelles à demi.
Toi ma laide, tu es une châtaigne hirsute,
toi ma belle, tu es belle comme le vent,
ma laide, de ta bouche on en peut faire deux,
ma belle, tes baisers sont des pastèques fraîches.
Ma laide, tes deux seins, où les as-tu cachés ?
Ils sont petits, petits, c’est deux coupes de blé,
quand j’aimerais voir deux lunes sur ta poitrine :
les tours géantes de ta souveraineté.
Laide, en sa boutique la mer n’a pas tes ongles,
belle, fleur après fleur, étoile par étoile,
vague par vague, amour, moi j’ai compté ton corps :
ma laide, je t’aime pour ta ceinture d’or,
ma belle, je t’aime pour la ride à ton front,
mon amour, j’aime en toi le clair avec l’obscur.
***
Mi fea, eres una castaña despeinada,
mi bella, eres hermosa como el viento,
mi fea, de tu boca se pueden hacer dos,
mi bella, son tus besos frescos como sandías.
Mi fea, dónde están escondidos tus senos ?
Son mínimos como dos copas de trigo.
Me gustaría verte dos lunas en el pecho :
las gigantescas torres de tu soberanía.
Mi fea, el mar no tiene tus uñas en su tienda,
mi bella, flor a flor, estrella por estrella,
ola por ola, amor, he contado tu cuerpo :
mi fea, te amo por tu cintura de oro,
mi bella, te amo por una amiga en tu frente,
amor, te amo por clara y por oscura.