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Posts Tagged ‘chaînon’

Veni, vidi, vixi (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 6 janvier 2021



Illustration: Désiré François Laugée
    
Veni, vidi, vixi

J’ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs
Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,
Puisque je ris à peine aux enfants qui m’entourent,
Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs ;

Puisqu’au printemps, quand Dieu met la nature en fête,
J’assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour ;
Puisque je suis à l’heure où l’homme fuit le jour,
Hélas ! et sent de tout la tristesse secrète ;

Puisque l’espoir serein dans mon âme est vaincu ;
Puisqu’en cette saison des parfums et des roses,
Ô ma fille ! j’aspire à l’ombre où tu reposes,
Puisque mon coeur est mort, j’ai bien assez vécu.

Je n’ai pas refusé ma tâche sur la terre.
Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici.
J’ai vécu souriant, toujours plus adouci,
Debout, mais incliné du côté du mystère.

J’ai fait ce que j’ai pu ; j’ai servi, j’ai veillé,
Et j’ai vu bien souvent qu’on riait de ma peine.
Je me suis étonné d’être un objet de haine,
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

Dans ce bagne terrestre où ne s’ouvre aucune aile,
Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,
J’ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.

Maintenant, mon regard ne s’ouvre qu’à demi ;
Je ne me tourne plus même quand on me nomme ;
Je suis plein de stupeur et d’ennui, comme un homme
Qui se lève avant l’aube et qui n’a pas dormi.

Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
Répondre à l’envieux dont la bouche me nuit.
Ô Seigneur, ! ouvrez-moi les portes de la nuit,
Afin que je m’en aille et que je disparaisse !

(Victor Hugo)

 

Recueil: Cent poèmes de Vivtor Hugo
Traduction:
Editions: Omnibus

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Les os des morts (Gabriela Mistral)

Posted by arbrealettres sur 13 septembre 2018



Les os des morts

Les os des morts
savent poudrer d’une glace subtile
les bouches de ceux qui aimèrent.
A tout jamais ils les empêchent d’embrasser !

Les os des morts
jettent leur blancheur à 1a pelle
sur la flamme brûlante de la vie.
Ils lui tuent toute ardeur!

Les os des morts
ont un pouvoir plus grand que la chair des vivants.
Car bien qu’épars ils sont de durs chaînons
qui nous retiennent, soumis et captifs!

***
Los huesos de los muertos

Los huesos de los muertos
hielo sutil saben espolvorear
sobre las bocas de los que quisieron.
¡Y éstas no pueden nunca más besar!

Los huesos de los muertos
en paletadas echan su blancor
sobre la llama intensa de la vida.
¡Le matan todo ardor!

Los huesos de los muertos
pueden más que la carne de los vivos.
¡Aun desgajados hacen eslabones
fuertes, donde nos tienen sumisos y cautivos!

(Gabriela Mistral)


Illustration


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Vois-tu, dans ces silences (Eugenio Montale)

Posted by arbrealettres sur 17 mai 2018



Vois-tu, dans ces silences en lesquels les choses
s’abandonnent et semblent tout près
de trahir leur ultime secret,
parfois on s’attend
découvrir un défaut de la Nature,
le point mort du monde, le chaînon qui ne tient,
le fil à débrouiller qui enfin nous conduise
au centre d’une vérité.
Le regard fouille à l’entour,
l’esprit enquête, accorde, sépare
dans le parfum qui sans cesse gagne
lorsque le jour se fait plus languissant.
Ce sont les silences où l’on voit
dans chaque ombre humaine qui s’éloigne
quelque Divinité surprise.

Mais l’illusion cède, et nous ramène le temps
dans les cités bruyantes où l’azur se montre
par morceaux seulement, tout en haut, entre les cimaises.
La pluie fatigue la terre, ensuite; et s’accumule
la tristesse de l’hiver sur les maisons;
la lumière se fait avare — amère l’âme.
Quand, un jour, d’un porche mal clos,
entre les arbres d’une cour,
nous apparaît le jaune des citrons;
et voici fondre le gel du coeur
et faire en nous ruisseler
leurs chants
les trompes d’or de la solarité.

***

Vedi, in questi silenzi in cui le cose
s’abbandonano e sembrano vicine
a tradire il loro ultimo segreto,
talora ci si aspetta
di scoprire uno sbaglio di Natura,
il punto morto del rondo, l’anello ehe non tiene,
il filo da disbrogliare che finalmente ci metta
nel mezzo di una verità.
Lo sguardo fruga d’intorno,
la mente indaga accorda disunisce
nel profumo che dilaga
quando i1 giorno più languisce.
Sono i silenzi in cui si vede
in ogni ombra umana che si allontana
qualche disturbata Divinità.

Ma l’illusione manca e ci riporta il tempo
nelle città rumorose dove l’azzurro si rostra
soltanto a pezzi, in alto, tra le cimase.
La pioggia stanca la terra, di poi; s’affolta
il tedio dell’inverno sulle case,
la luce si fa avara – amara l’anima.
Quando un giorno da un malchiuso portone
tra gli alberi di una corte
ci si mostrano i gialli dei limon;
e il gelo del cuore si sfa,
e in petto ci scrosciano
le loro canzoni
le trombe d’oro della solarità.

(Eugenio Montale)

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Oh ! pour remplir de moi ta rêveuse pensée (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2017



 

Albert Joseph Moore (5) [1280x768]

Oh ! pour remplir de moi ta rêveuse pensée,
Tandis que tu m’attends, par la marche lassée,
Sous l’arbre au bord du lac, loin des yeux importuns,
Tandis que sous tes pieds l’odorante vallée,
Toute pleine de brume au soleil envolée,
Fume comme un beau vase où brûlent des parfums ;

Que tout ce que tu vois, les coteaux et les plaines,
Les doux buissons de fleurs aux charmantes haleines,
La vitre au vif éclair,
Le pré vert, le sentier qui se noue aux villages,
Et le ravin profond débordant de feuillages
Comme d’ondes la mer,

Que le bois, le jardin, la maison, la nuée,
Dont midi ronge au loin l’ombre diminuée,
Que tous les points confus qu’on voit là-bas trembler,
Que la branche aux fruits mûrs ; que la feuille séchée,
Que l’automne, déjà par septembre ébauchée,
Que tout ce qu’on entend ramper, marcher, voler,

Que ce réseau d’objets qui t’entoure et te presse,
Et dont l’arbre amoureux qui sur ton front se dresse
Est le premier chaînon ;
Herbe et feuille, onde et terre, ombre, lumière et flamme,
Que tout prenne une voix, que tout devienne une âme,
Et te dise mon nom !

(Victor Hugo)

Illustration: Albert Joseph Moore

 

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