La nuit dernière sur le petit navire : un ciré pour la pluie,
Plein fleuve de vent et de vagues : à la nuit qu’y faire ?
Ce matin seul, on veut rouler la toile pour regarder,
Rien n’a changé : des montagnes bleues et des bois verts partout.
***
(Zhu Xi) (1130-1200)
Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise
Grandes orgues du coeur quelle est votre machine ?
Pourquoi vos couples furieux
Forment-ils un dragon de Chine
Un archange constellé d’yeux ?
vient dans ce désordre une musique sainte
Un souffle insensible aux combats ?
Et pourquoi cette longue plainte
Si haute montant de si bas.
Parler des mers sans bord
Ecume au nom d’abeille
Neige désemparée
Qui tournes dans l’oreille
M’apportez-vous le frai
Que je désire encore
Le vent me brûle tout
Les poumons le visage
Et les couleurs jetées
Largement sur la page
Larmes que je n’ai pas
La douceur de sécher
Pas même sous la main
Les perles qui dérivent
Pas même d’horizon
Le sang change de rive
Il n’est plus de ruisseau
Le long de ma maison
Mes lèvres trop longtemps
Ont couvé sous la cendre
Jusqu’à mon coeur les mots
Ne peuvent plus descendre
Et n’ayant plus d’amour
Je n’ai plus de raison.
(René Guy Cadou)
Recueil: René Guy Cadou Poésie la vie entière oeuvres poétiques complètes
Traduction:
Editions: Seghers
Mon service prend fin et je descends les marches du palais
Repos du soir — je gagne enfin mes appartements
L’éclair hurlant éclate dans la nuit pleine
Les flèches de lumière vive rayent les ténèbres
De noirs nuages harcèlent les tours vermillonnes
Et le vent frappe le linteau des fenêtres.
L’eau s’écoule bouillonnante par les gouttières du toit
Des flaques jaunes noient les degrés aveugles des terrasses
Les cieux dénués s’engrènent impassibles sans se déchirer
De larges voies d’eau rejoignent abondantes un canal englouti
À Liang et Ying, les cultures meurent sous les flots du ciel
Des paysans vagabonds passent devant les bras furieux du fleuve
Les eaux montent inlassables et changent nos vies en ruine marine.
(Lu Ji)
(261-303)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
« Vous cherchez du côté du plus grand…
C’est tellement plus simple : J’attends le printemps.
Ce que j’appelle le printemps n’est pas affaire de climat ou de saison.
Cela peut surgir au plus noir de l’année.
C’est même une de ses caractéristiques :
Quelque chose qui peut venir à tout moment pour interrompre, briser
– et au bout du compte, délivrer.
Le printemps n’est rien de compréhensible
– c’est même ce qui lui permet de tenir dans trois fois rien
– un bruit, un silence, un rire.
Il se moque de conclure.
Il ouvre et ne termine jamais.
Il est dans sa nature d’être sans fin.
Ce que j’appelle le printemps ne va pas sans déchirure.
C’est une chose douce et brutale.
Nous ne devrions pas être surpris de ce mélange.
Si nous le sommes, c’est que la vie nous rend distraits.
Nous ne faisons pas assez attention.
Si nous regardions bien, si nous regardions calmement,
nous serions effrayés par la souveraineté de la moindre pâquerette :
elle est là, toute bête, toute jaune.
Pour être là, elle a dû traverser des morts et des déserts.
Pour être là, toute menue,
elle a dû livrer des guerres sans pitié.
Ce que j’appelle le printemps est une chose du même ordre…
Dans le printemps, rien de tranquille ni de gagné d’avance.
Lorsqu’il arrive, nous ne nous y retrouvons plus.
Presque rien n’a changé et ce presque rien change tout.
Nous nous accoutumons trop vite à ce que nous avons.
Dieu merci, le printemps vient remettre du désordre dans tout ça.
Nous découvrons que nous n’avons jamais rien eu à nous,
et cette découverte est la chose la plus joyeuse que je connaisse. »