On veut du nougat et du chocolat,
Des bonbons au citron, des stylos,
Des poupées gentilles
Pour les petites filles
Et, pour les garçons
Des lapins qui sont
Sauteurs et polissons.
On vend de tout :
Des toutous blancs
Qui se tiennent debout,
Tout tremblants,
Des arlequins, des cailles qui rient
Et tout un lot de quincaillerie.
Dans les pharmacies,
Dans les pharmacies,
On entend parfois cet ordre sec :
« Garçon! Des petits pois ou un bifteck
Ou des choux farcis. »
Dans les pharmacies.
Ces pharmacies-là
Sont celles du Canada
Où l´on prend ses repas, parfois, par-ci, par-là.
On y vend aussi des pilules, mais sachez
Que la vente des cachets est un peu cachée,
Car ici, ce n´est pas un crime
De commander un ice-cream
Où l´on ajoute un peu de soda,
Mais des remèdes, on n´en voit pas.
Dans les pharmacies,
Dans les pharmacies,
J´entre par hasard et, le plus bizarre,
Je n´en sors qu´après deux heures et quart,
Les poches gonflées
De pommes soufflées,
De rasoirs à main
En duralumin,
De mille produits humains.
Un phonographe immense et lourd
Y joue des chansons d´amour
Et pour vingt cents, on peut entendre
Un baryton à voix tendre.
Les oiseaux sont couchés dans leur nid
Et moi, je suis couché dans mon lit.
Il fait froid ce soir, il fait nuit,
Alors tendrement, je dis :
« Bonne nuit, bonne nuit, Suzy.
Bonne nuit, bonne nuit, Suzy,
Suzy, oh oui, bien sûr.
Certainement, oui, bonne nuit,
Bonne nuit, Suzy jolie… euh…
Bonne nuit. »
{Off: C´est une chanson qui s´appelle « Bonne nuit Suzy »}
Dans les pharmacies,
Dans les pharmacies,
Je suis très heureux
Car j´y viens joyeux parler français
pt ce plaisir-là est unique là-bas,
Dans les pharmacies
Si, si, si bémol…
Du Canada.
Une fillette brune qui n’a plus qu’un bras
Le tend sans conviction vers le soldat qui passe.
Il a perdu son casque et sous ses cheveux ras
Sa pensée s’éparpille, inconséquente et lasse.
Il lui vient un moment à l’esprit le désir
De donner une tablette de chewing-gum
Ou de chocolat à l’enfant pour son plaisir
Mais sent l’inanité d’un geste minimum.
Il se penche et saisit dans ses deux grosses pattes
Doucement le petit corps malingre et meurtri.
Le grand soldat roux s’assoit sur un tas de lattes,
Près d’un mur effondré, et bientôt il sourit
A l’infirme sur ses genoux en l’embrassant
Puis sort son pistolet, appuie sur la gâchette,
Visant au sein l’orpheline au coeur innocent,
Et se tire ensuite une balle dans la tête.
Maman est actrice de cinéma.
Elle est belle comme les images de chocolat
Et l’on voit souvent
Des hommes qui se tuent pour l’embrasser sur les dents!
Mais à force, ce n’est plus maman.
A force de la voir
Avec un tas de gens qui ont un tas d’histoires
Avec un tas de gens que je ne connais pas
Et qui ont toujours l’air de l’aimer plus que moi
A force, ce n’est plus maman.
Et les soirs qu’elle vient me border
Encore toute peinturlurée
Dans une robe avec des voiles comme un grand navire,
Vite je lui souris et fais semblant de dormir.
Alors elle s’envole sur la pointe des pieds
Et je puis tranquillement pleurer
Sous les draps
Pour que le monde entier ne m’entende pas.
Les champs de blés mauves et les près rouge sang
Le tronc des arbres bleu le feuillage ocre ou brun
Les agneaux verts les chèvres jaunes et les vaches argentées
Le ruisseau de mercure et la mare de plomb
La ferme en sucre roux l’étable en chocolat
Pourquoi pas pourquoi pas pourquoi pas pourquoi pas
Tu me dis baluchon ça veut dire grosse bête.
Fourbi ? C’est un poisson. Lézard ? Saule pleureur.
Les mots ne savent plus où donner de la tête :
friture de fourbis, ou lézard rose en fleurs ?
Suppose et supposons une supposition
que le mot ver luisant se prononce escarcelle,
que le mot chocolat se prononce violon,
que le mot tirelire se prononce hirondelle.
Est-ce escarcelle ou escargot ? Est-ce cargo
ou tire-l’air, ou tire-l’eau, ou tire-d’aile ?
Est-ce chacal ou chocolat ? Est-ce hirondelle ? Est-ce rondeau?
Est-ce vol-au-vent ? Est-ce violoncelle ?
Les dictées tout à coup ont un air bien bizarre.
On regarde voler les tirelires en l’air,
On regarde briller l’escarcelle très tard,
On mange à son goûter du pain et du violon.
Si on commence à faire trop de suppositions
tout s’en va de travers et rien ne va plus droit
personne ne demande aux mots la permission
et je signe Hérisson – qui veut dire Claude Roy.
(Claude Roy)
Recueil: Le rire en poésie
Traduction:
Editions: Gallimard