S’asseoir sous la cascade de branches bruissantes
Contempler la tendre esquisse de feuilles transparentes et moussues
Savourer l’averse de couleur de ces pompons fragiles
Caresser les mamelons baignés de lumière rasante
Plonger dans l’eau azur de la rivière nuage
Renouer, relier, fusionner
S’apaiser
Saisir avec urgence
Cet éphémère tableau
D’un avril enchanté
Murmurer avec la fontaine feuille
L’intensité de la sève toujours renaissante
Clamer avec l’azalée de papier
Le puissant vertige des saisons
Je suis un maillon du grand monde
Ne suis que cela
Danse là sur le rivage
Car pourquoi te soucierais-tu
Du vent ou de l’eau qui gronde?
Et après secoue tes cheveux
Qu’ont trempés les gouttes amères.
Tu es jeune, tu ne sais pas
Que l’imbécile triomphe,
Ni qu’on perd l’amour aussitôt
Qu’on l’a gagné, ni qu’est mort
Celui qui œuvrait le mieux, mais laissa
Défaite toute la gerbe.
Ah, pourquoi aurais-tu la crainte
De l’horreur que clame le vent ?
***
To a child dancing in the wind
DANCE there upon the shore;
What need have you to care
For wind or water’s roar?
And tumble out your hair
That the salt drops have wet;
Being young you have not known
The fool’s triumph, nor yet
Love lost as soon as won,
Nor the best labourer dead
And all the sheaves to bind.
What need have you to dread
The monstrous crying of wind?
Hier fut la fin le chaos
l’indiscernable. Mais
de l’horreur naquit le passage entre
les blocs.
Vint le frisson
secouant les rafales
soubresauts de l’obscur.
S’avança le silence
ordonnateur inventeur
de pauses, d’oublis souverains.
Il fut permis de voir d’entendre
d’accéder aux cimes froides
où clame la clarté
où tout commence
avec la pointe et l’éclair
le rythme et la faux le secret
la fuite joyeuse des temps, le cruel
message à déchiffrer
puis à déchirer à jeter,
le peu à peu le bientôt
le jamais encore
l’ombre aux abois le peut-être
les lueurs
futures
le feu qui grandit
le souffle
porteur de la parole.
Mais c’est le souffle aussi
qui saura seul
éteindre tout
pour rendre à la Nuit
son empire.
(Jean Tardieu)
Recueil: L’accent grave et l’accent aigu
Traduction:
Editions: Gallimard
… Je serai, dans ton coeur, l’été sans fin des îles
Du Sud, un paysage vierge où tes accords
Connaîtront la beauté de se sentir dociles
Au rythme élyséen des lignes de mon corps ;
Je serai le sanglot de la bonne fontaine
Où toute soif d’amour boit les couleurs du soir,
Et tu t’étonneras de trouver la Lointaine
A la première étape, en ton chemin d’espoir!
Je serai ta Forêt, tes Nuages, ta Plaine,
Tout ce qui sourira de te revoir si grand,
Car la mort des printemps fit douce mon haleine,
Dernier effort de brise en un jardin dormant ;
Je quitterai pour toi le vitrail du soleil
Et tu me trouveras assise sur ta couche
La rose du silence au coin de cette bouche
Et dans ces mains de miel la coupe du sommeil.
A ton recueillement je serai solitude,
A ton labeur, silence ; et je t’enseignerai
A façonner tes vers selon les attitudes
Des cygnes riverains, anges des cieux sombrés.
Je serai l’heure franche où tintent les matines,
L’odeur de l’ombre et de la terre quand il pleut,
La voix des moissonneurs derrière les collines,
Toute la joie immense en pleurs de l’été bleu ;
Et je serai la nuit! ma robe est la poussière
Des noctuelles d’or sous la lune moirée ; —
Le battement muet et lent de mes paupières
Est un essaim dormant de mirtils des forêts.
Pour plaire à tes bonheurs, j’apparaîtrai sereine
Comme un nuage heureux suspendu dans l’éther,
Mais parfois triste aussi, pour séduire tes peines,
Comme un adieu d’enfant à de candides mers.
Avec un peu d’eau vive et de vent et de sable
Je saurai recréer tes visions d’enfant ;
Avec quelques brins d’herbe une forêt de fable
Pour y bercer ton coeur orphelin du vieux temps.
Je sais des lieux dormants, mystérieux, semblables
Aux paysages purs qui rêvent dans le coeur.
Un charme ténébreux, tendre, indéfinissable
Y chuchote mon nom dans les arbres pleureurs.
Je me couvrirai d’un manteau de somnolence
Semé de fleurs comme une nuit de la Saint-Jean,
Et la mousse, l’écho, la lune, le silence
Reconnaîtront en moi la soeur du confident.
Heureux de pouvoir comparer ta Foi nouvelle
A l’aloès qu’enfante un siècle de torpeurs,
Tu t’agenouilleras, et ma chair sera belle
De la couleur de l’ombre et de la mort des fleurs!
Puis, trouvant à ma bouche un goût de fruit sauvage
Tu béniras ma vie et tu me souriras
Comme un enfant rêveur sourit á son mirage
Dans une eau calme, à l’heure où le soleil est bas.
Tu dénoueras, dans le midi, ma chevelure
Où se débattront des papillons aveuglés,
Et tu diras :« Voici l’été ; la terre est mûre ;
La moire des vents lourds se couche sur Ies blés ;
La vapeur d’or d’un grand sommeil doucement flotte
Sur la plaine ; le jour défaille de douceur ;
Je ris, et l’on dirait que mon rire sanglote
Dans la mélancolie immense du bonheur.
Confidente de l’ombre et des saules bruissants,
J’ai peur de tes chansons qui s’achèvent en thrènes
Je sens souffrir ma vie au profond de tes veines,
Ton cher reflet sommeille au secret de mon sang.»
Et tu diras encor : « J’aime ta bouche agreste,
Les sources de ton rire et le goût de ton coeur.
Vois! le ciel semble avoir pâli de notre inceste ;
Ton nom d’amante est beau ; dis-moi ton nom de soeur. »
— Je rirai doucement de te voir pris au piège
De ma tendresse et de mon charme, et je dirai :
« L’amour est pur comme un parfum de perce-neige
Au mois du renouveau, dans l’antique forêt.
L’amour, cher ciel bleu-gris fait d’âmes apaisées,
Voix du pardon nocturne au jardin repentant
Où l’insomnie heureuse enfante les rosées,
L’amour, tout ce qu’on pleure et tout ce qu’on attend! »
— Comme elle sonne loin, dans les feuilles trop mûres,
L’automnale chanson prometteuse d’étés!
J’ai vu s’éteindre, au jardin fou des chevelures,
Les juillets de mon âme aux midis exaltés.
Je ne me souviens plus au coin de quelle route
Ma vie a déposé le fardeau de l’espoir ;
Et j’ai tout vu mourir, la foi comme le doute,
La tristesse du jour comme l’ennui du soir.
Je me suis embarqué, sur le fleuve des âmes,
Pour le royaume des orgueils découronnés,
Et mon indifférence abandonne les rames
A l’onde léthéenne où je me reconnais ;
Et mon coeur est la cloche où s’exaspère et clame
Sous le batail géant un sinistre péan,
Et le néant de tout se couche sur mon âme
Comme sur les noyés le poids de l’océan.
C’était le soir. Tombant du ciel d’été.
De fous désirs, ardents comme une flamme,
Intimement m’ont visité.
Ma peau touchait ta peau de femme.
Toute ma vie, alors, pulsait
Sur le petit espace
Où ta peau, soudain, à ma peau se fiançait.
Je le sais à présent, c’est toi qu’il me fallait,
Que je cherchais, lorsque ma raison fit surface.
Vous, lointains inhumains,
Ô vous ! petites fleurs à la fine corolle,
— Aux fins dessins,
Entendez-vous de son doux giron la parole ?
Elle est pour moi trop lourde assurément :
La totalité de la femme!
Telle une abeille bourdonnant,
Dès lors, de tout mon coeur bruissant,
Lanceur de comètes, je clame:
Que sont auprès de toi le vignoble au soleil,
Le céleste animal au pelage d’aurore
Empli de fraîcheur dès l’éveil
Ou bien encore
Le bercement matinal des buissons
Sur les coteaux intacts aux tendres mamelons !
Des baisers de la femme
Bouillonne sous ta peau
Toute la gamme.
Souvent j’ai peur, car nous formons un écheveau
Inextricable ! Et s’il me reste quelques fibres
Qui semblent libres,
Tu t’en saisis. Ô combien nous nous désirons !
Mais si c’est même amour que tous deux respirons,
Je le vis tel un roc dessous lequel j’enrage
Et toi comme un coussin plus léger que nuage.
(Attila József)
Recueil: Aimez-moi – L’oeuvre poétique
Traduction: Georges Kassaï
Editions: Phébus