Des roses sur la mer, des roses dans le soir,
Et toi qui viens de loin, les mains lourdes de roses !
J’aspire ta beauté. Le couchant fait pleuvoir
Ses fines cendres d’or et ses poussières roses…
Des roses sur la mer, des roses dans le soir.
Un songe évocateur tient mes paupières closes.
J’attends, ne sachant trop ce que j’attends en vain,
Devant la mer pareille aux boucliers d’airain,
Et te voici venue en m’apportant des roses…
Ô roses dans le ciel et le soir ! Ô mes roses !
(Renée Vivien)
Recueil: Poésie au féminin
Traduction:
Editions: Folio
Au point que j’expirais, tu m’as rendu le jour
Baiser, dont jusqu’au coeur le sentiment me touche,
Enfant délicieux de la plus belle bouche
Qui jamais prononça les Oracles d’Amour.
Mais tout mon sang s’altère, une brûlante fièvre
Me ravit la couleur et m’ôte la raison ;
Cieux ! j’ai pris à la fois sur cette lèvre
D’un céleste Nectar et d’un mortel poison.
Ah ! mon Ame s’envole en ce transport de joie !
Ce gage de salut, dans la tombe m’envoie ;
C’est fait ! je n’en puis plus, Elise, je me meurs.
Ce baiser est un sceau par qui ma vie est close :
Et comme on peut trouver un serpent sous des fleurs,
J’ai rencontré ma mort sur un bouton de rose.
(Tristan L’Hermite)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
En quarante-deux, il s’en est allé…
Si je vous le dis, si je le raconte,
c’est que la lune danse dans les blés…
Mon coeur est en fer, son coeur est en fonte.
Il ne m’écrivit que quelques vieux mots, je
me souviens bien, je pleurai mes larmes…
— Nous avons bien froid, nous n’avons pas d’armes
— Ecoutez ce vent dans tous ces rameaux.
— Nous nous marierons la saison prochaine,
quand il fera chaud, quand il fera doux — Il
n’avait pas peur des vents et des loups. Mon
coeur est en lin, mon coeur est en laine.
Les vieux regardaient chaque jour le ciel
et puis il neigeait des neiges, la neige
et je me disais : Que Dieu le protège !
Mon coeur est en sang, mon coeur est de miel.
On dit qu’il est mort, on dit tant de choses…
Après un hiver revient le printemps.
Ecoutez ces cris qui sont dans les vents par
les nuits venues et les portes closes.
Ils me l’ont volé, ils m’ont pris ses mains,
ils m’ont pris ses yeux, je ne peux pas dire… Ils
m’ont pris sa chair, sa bouche et son rire mais
j’attends ses pas sur tous les chemins.
(Pierre Gamarra)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
Voilà! avant qu’il ne vienne
Vous n’étiez qu’un nom:
Quatre petites chambres et un placard
Sans un os,
Et j’étais seule!
Maintenant avec vos fenêtres ouvertes
Tout ce qui peut entrer
De soleil et de fleurs et de beauté
Entre pour se cacher,
Pour jouer, pour rire dans les escaliers,
Pour attraper partout
Notre bonheur enfantin
Et pour glisser
À travers les quatre petites chambres sur la pointe des pieds
Avec le doigt levé
Comme si nous ne pouvions savoir
Quand les volets sont clos
Qu’ils s’attardent encore
Longtemps, longtemps après.
Allongé, l’un près de l’autre, dans l’obscurité
Il me dit: « Écoute,
N’est-ce pas un rire? »
***
Villa Pauline
But, ah! before he came
You were only a name:
Four little rooms and a cupboard
Without a bone,
And I was alone!
Now with your windows wide
Everything from outside
Of sun and flower and loveliness
Comes in to hide,
To play, to laugh on the stairs,
To catch unawares
Our childish happiness,
And to glide
Through the four little rooms on tip-toe
With lifted finger,
Pretending we shall not know
When the shutters are shut
That they still linger
Long, long after.
Lying close in the dark
He says to me : « Hark,
Isn’t that laughter? »
(Katherine Mansfield)
Recueil: Villa Pauline Autres Poèmes
Traduction: Philippe Blanchon
Editions: La Nerthe
Ouvrez-nous donc la porte et nous verrons les vergers,
Nous boirons leur eau froide où la lune a mis sa trace.
La longue route brûle ennemie aux étrangers.
Nous errons sans savoir et ne trouvons nulle place.
Nous voulons voir des fleurs.
Ici la soif est sur nous.
Attendant et souffrant, nous voici devant la porte.
S’il le faut nous romprons cette porte avec nos coups.
Nous pressons et poussons, mais la barrière est trop forte.
Il faut languir, attendre et regarder vainement.
Nous regardons la porte ; elle est close, inébranlable.
Nous y fixons nos yeux ; nous pleurons sous le tourment ;
Nous la voyons toujours ; le poids du temps nous accable.
La porte est devant nous ; que nous sert-il de vouloir ?
Il vaut mieux s’en aller abandonnant l’espérance.
Nous n’entrerons jamais. Nous sommes las de la voir…
La porte en s’ouvrant laissa passer tant de silence
Que ni les vergers ne sont parus ni nulle fleur ;
Seul l’espace immense où sont le vide et la lumière
Fut soudain présent de part en part, combla le coeur,
Et lava les yeux presque aveugles sous la poussière.
Pensées sans ordre concernant l’amour de Dieu
(Simone Weil)
Recueil: Les poètes de Dieu (Pierre Haïat)
Editions: Philippe Lebaud
Si vous m’aviez connu
Du temps des matins souples
Quand je marchais sur l’eau
Dans Venise la trouble
Si vous m’aviez connu
Sur ces scènes indicibles
Je lançais des couteaux
Sur de graciles cibles
Si vous m’aviez connu
Madame toute nue
Sans vouloir me vanter
Vous auriez apposé
Sur mes paupières closes
Vos lèvres parfumées
De cistes et de rosée
Et de bien d’autres choses
Si vous m’aviez connu
Dans ce fringant costume
Quand je fondais de l’or
Pour en faire des plumes
Si vous m’aviez connu
Quand j’étais Matador
Tout déchiré dedans
Tout recousu dehors
Si vous m’aviez connu
Madame toute nue
Pendant que je mourais
Auriez Vous déposé
Sur mes paupières closes
Vos larmes parfumées
De cistes et de rosée
Et du chagrin des choses
Si vous m’aviez connu
Du temps des rêves d’or
Quand je dormais encore
Est-ce que vous m’auriez cru ?
Si vous m’aviez connu
Madame toute nue
Sans vouloir me vanter
Auriez-vous apposé
Sur mes paupières closes
Vos rêves parfumés
De cistes et de rosée
Et du regret des choses
Mon âme, vent léger et lumière, murmure
sur tes paupières closes. Ma poésie se libère
à présent des mesures, réduit les mots,
cherche à les effacer ; jusqu’au soir
elle sera une brise.
(Nikiforos Vrettakos)
Recueil: Mon soleil
Traduction: Traduit du grec par Ioannis Dimitriadis
Editions: ainigma.net