Je te cherche sous les racines de mon coeur
Comme un enfant à l’intelligence retardée qui a peur
D’entrer dans l’eau qui parle seul et fait bouger ses mains
« O mon Dieu permettez que cette eau ne me broie pas comme Votre Moulin
Je m’attarde résolument près des colchiques et des saules
Laissez-moi regarder par-dessus votre épaule
La route qui poudroie et l’herbe qui verdoie
Sans désirer jamais autre chose que cela
Mais Dieu qui n’entend pas l’amour de cette oreille
« Tu descendras au fond de toi et je surveille
Tes allées et venues Tu me dois de trouver
Dans l’eau de mes regards la noisette tombée »
Les yeux vagues ainsi qu’un veilleur de frontière
De songerie malade et de sens abîmés
Je plonge doucement mes mains dans la lumière
Sans penser un instant à les en retirer
Car il me plaît d’aider un corps qui s’aventure
Et cherche par-delà sa forme préférée
Le spectacle d’une âme aveugle qui murmure
Le long du mur en pierre de l’éternité.
(René Guy Cadou)
Recueil: René Guy Cadou Poésie la vie entière oeuvres poétiques complètes
Traduction:
Editions: Seghers
Les femmes sont dans le verger,
où le cordeau de la lessive est
tendu entre les pommiers.
L’une est en train d’y pendre une
chemise qu’elle fixe avec des pinces de
bois (et le mouvement de ses bras fait
remonter sa jupe à pois);
la deuxième à croppetons dans le
soleil prend le linge dans une seille;
la troisième renoue en riant ses
cheveux défaits par le vent.
Dans le pré qu’on vient de faucher
les premiers colchiques ont percé;
il fait déjà froid soir et matin, l’eau coupe
la peau des mains et la fait sauter;
les blanchisseuses ont les mains rouges.
Elles lèvent des mains rouges devant le linge blanc ;
mais, parce qu’elles sont jeunes, elles rient dans le vent
qui vient sur elles, les pressant
entre ses bras comme un danseur,
et leur fait faire un tour sur place en
les serrant contre son coeur.
(Charles-Ferdinand Ramuz)
Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite
Vint le soir
ses colchiques
ses rampes mauves
au coeur des villes
Les filles étaient nues
Il volait au ras du goudron
des rubans gras
Les garçons sentaient l’enfant chaud
Par la porte ouverte des pubs
glissait une musique de papier froissé
La nuit métallisait les arbres
Il avançait en larmes
pensait
ne pensait à rien
tentait de marcher aveugle
passait inaperçu
plus ténu que le pétale
d’une fleur encore éclose.
… Tout doit s’élever avec la sève qui convient;
si vous célébrez la floraison des colchiques dans les prairies,
faites le avec le mystère de l’homme prenant l’essence du mystère végétal;
vous pouvez être la terre qui les nourrit,
ou la terre qui s’en émerveille,
ou seulement la terre qui s’en plaint;
vous passerez dans les colchiques par un prolongement d’amour;
mais ne leur donnez pas les sens de l’homme et le rythme de votre chair…
Mon cœur se calme. C’est octobre. Je veux laisser
un instant là l’œuvre a laquelle je travaille.
Je veux me souvenir des octobres passés,
et écouter la pluie tomber sur les platanes.
J’aurai bientôt trente-deux ans. lit, comme Hafiz,
nous dit Kahm, fut soucieux quand il vit blanchir sa barbe,
je sens venir le temps où les frêles jeunes filles
que j’ai aimées me salueront d’un air plus grave.
L octobre de l’enfance était la route grise
où sonnaient les brebis dans l’odeur du brouillard,
l’école délestée, mais la grande cuisine
où les rouges fagots claquaient au foyer noir.
L’octobre adolescent était l’émotion
d’une verte prairie parsemée d’anémones ;
c’était le long baiser que me laissait l’automne
pour mieux aimer l’hiver dans l’âme des tisons.
Puis l’octobre qui vint fut moins pur et plus vaste :
Ce fut l’apaisement de ce dont je souffrais.
Maintenant, que sera cet octobre nouveau ?
Ce sera-t-il les bois où je me réfugie
pour écouter le vide atroce de ma vie,
et pour guetter au loin les files de vanneaux ?
Etendu sur la mousse, ayant mis contre un chêne
mon vieux fusil dont j’aurai rabattu les chiens,
mon menton dans mes mains, à plat ventre, verrai-je
la résignation dans les yeux de mon chien ?
Cueillerai-je au bois noir le colchique d’automne ?
Tiendrai-je dans ma main la sarcelle blessée,
et chanterai-je aussi avec les bonnes pommes
la rainette qui crie au coeur des vieux rosiers ?
Le bruit sourd des fléaux
Rythme les jours d’automne,
Un enfant chante en bas
Des paroles sans suite.
Bergère en cape rouge
A deux pas des taureaux.
La fontaine s’essouffle
Et se recueille au vent.
Chevelures des sources
Vous luisez plus avant,
Sous les trèfles les mousses,
Au ras du vol des vents.
La forêt meurt en flammes,
Eclate en cuivre et feu
Tremble comme une femme
Et gémit comme un Dieu.
La première colchique
A fleuri dans les champs.