Solitude au vent, ô sans pays, mon Île,
Que les barques de loin entourent d’élans
Et d’appels, sous l’essor gris des goélands,
Mon Île, mon lieu sans port, ni quai, ni ville,
Mon Île où s’élance en secret la montagne
La plus haute que Dieu heurte du talon
Et repousse… Ô Seule entre les aquilons
Qui n’a que la mer farouche pour compagne.
Temps où se plaint l’air en éternels préludes,
Mon Île où l’Amour me héla sur le bord
D’un chemin de cieux qui descendait à mort,
Espace où les vols se brisent, Solitude.
Solitude, Aire en émoi de Cœur immense
Qui sans cesse jette au large ses oiseaux,
Sans cesse au-dessus d’infranchissables eaux,
Sans cesse les perd, sans cesse recommence.
Désolation royale, terre folle
Que berce l’abîme entre ses bras massifs,
Mon Île, tu tiens un Silence captif
Qu’interroge en vain la houle des paroles.
(Marie Noël)
Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers
Comme des cygnes qui picorent en ligne
Les jeunes filles qui chantent et repiquent le riz
Semblent très très belles
C’est cette jeune fille au teint sombre
Qui a noué le pan de son sari
Rouge vif telle une bannière, qui s’élève et ondule
Comme si elle était sortie conquérir l’univers entier
C’est elle qui les guide
Et les surveille toutes
Ne t’arrête pas maintenant, ne flanche pas
À toutes elle répète cette formule
Toutes ensemble dans le ventre de la Terre
Ne cessent de repiquer le riz
C’est cette jeune fille au teint sombre
Qui dans sa langue fait pleuvoir
Une mélodie mêlée de miel
En arrière toutes ses compagnes
Entremêlent les mélodies
«Jaiyo sugnâ dûr desh ur jaiyo re… »
Lorsqu’on les aperçoit certaines rougissent, embarrassées
Mais elles continuent de s’épancher dans leur babil
Les gouttes de sueur brillent à leur front
Oh surprise
Vois, quelle scène charmante!
La terre parfumée, les vents
Qui fredonnent
Lorsque la verdure exultera La Terre distribuera des sourires
Demain la sueur dissoute dans le sol deviendra céréales
La faim des Hommes disparaîtra
C’est cette jeune fille au teint sombre
Qui rentre à sa maison
En ayant conquis la Terre, subjugué tout le monde
Sur sa tête le pan de son sari
Converse avec le ciel
Et rit comme l’étendard de la victoire…
(Krishnakânt)
Recueil: Pour une poignée de ciel Poèmes au nom des femmes dalit (Intouchable)
Traduction: Traduit du Hindi par Jiliane Cardey
Editions: Bruno Doucey
En deux heures de train
je repasse le film de ma vie
Deux minutes par année en moyenne
Une demi-heure pour l’enfance
une autre pour la prison
L’amour, les livres, l’errance
se partagent le reste
La main de ma compagne
fond peu à peu dans la mienne
et sa tête sur mon épaule
est aussi légère qu’une colombe
A notre arrivée
j’aurai la cinquantaine
et il me restera à vivre
une heure environ
Provisoirement nous ne chanterons pas l’amour,
qui s’est réfugié plus bas que les souterrains.
Nous chanterons la peur, qui rend stériles les embrassades,
nous ne chanterons pas la haine car elle n’existe pas,
seule existe la peur, notre mère et compagne,
la grand-peur des sertöes, des mers, des déserts,
la peur des soldats, la peur des mères, la peur des églises,
nous chanterons la peur des dictateurs, la peur des démocrates,
nous chanterons la peur de la mort et la peur d’après la mort,
et puis nous mourrons de peur
et sur nos tombes pousseront des fleurs jaunes et craintives.
I
Ma France à moi elle est joyeuse
Elle dit bonjour et comment allez-vous
Mais elle sait dire non elle est frondeuse
On ne la f’ra jamais mettre à genoux
Ma France à moi celle que j’adore
Celle qui chantait le chant des partisans
Celle des Klarsfeld celle de Senghor
Celle de Prévert et la France des paysans
France de Stendhal Chamfort Molière
France de Balzac La Fontaine et Victor
Des frères Lumière d’Apollinaire
D’Alfred Jarry des chants de Maldoror
Ma France à moi qu’avant tout j’aime
C’est celle de la liberté d’expression
Les mots d’amour voire les blasphèmes
Sont l’essentiel de ma respiration
II
France de Matisse Monet Soulages
France de Desproges et des tweets de Pivot
France de Coluche France du partage
France de Daumier Gotlib et Picasso
Ma France à moi peut-êt’ croyante
Mais a parfaitement le droit d’être athée
Bible ou Coran si ça lui chante
Elle dit pardon c’est pas ma tasse de thé
Ma France à moi elle est gourmande
D’accordéon de jazz et de Verdi
Elle chérit ses enfants d’légende
Ceux du Vel’ d’hiv’ et ceux du paradis
L’obscurantisme d’un autre âge
Les fanatismes elle en a fait son deuil
Aucun racisme aucun clivage
Ne sont bienv’nus sur sa terre d’accueil
III
Nos femmes en France embrassent et dansent
Libres d’aimer d’faire valser les textos
Z’apprécient guère qu’on les tabasse
Ni d’êt’ voilées ce n’sont pas des bateaux
Eh oui ma France adore ses femmes
Les Barbara Colette Marie Curie
Les De Beauvoir celles qui s’enflamment
Lucie Aubrac Simone Veil Adjani
Ma France de Jaurès fût compagne
Et des savants des chercheurs elle raffole
Jules Ferry Pasteur Charlemagne
C’est grâce à eux qu’on va tous à l’école
Bien sûr ma France elle est laïque
De penser libre et libre de parole
C’est la France de la république
Les religions s’apprenn’ pas à l’école
IV
Cette France que certains haïssez
A ceux qui l’aiment il vous faut la laisser
Cette chanson libre jaillie d’mon cœur
J’aim’rais qu’les écoliers l’apprenn’ par cœur
Car cette Franc’-là tel est mon vœu
Je souhait’ qu’elle soit demain leur France à eux
Le mont d’automne recueille le reste du couchant
Un oiseau vole à la poursuite de sa compagne
Par intermittence chatoie le vert-bleu
La brume du soir, elle, est sans lieu
(Wang Wei)
Recueil: L’Ecriture poétique chinoise
Traduction: François Cheng
Editions: du Seuil
Un soir d’or où le soleil songeur
rejette en s’en allant sa pompe habituelle, des arbres
qui se penchent vers leur verte compagne
et mère féconde, et leurs doux chuchotements — tout cela
et une mer immense et silencieuse. Cette heure est la plus proche de Dieu –
riche comme la vieillesse quand les longs chemins ont tous été parcourus.
(Sri Aurobindo)
Recueil: Poésie
Traduction: Français Cristof Alward-Pitoëff
Editions: Sri Aurobindo Ashram Trust
Nous ne boirons pas dans le même verre
Ni de l’eau, non, ni du vin doux,
Pas de baisers au petit matin,
Pas de soirées à la fenêtre.
Tu respires par le soleil, je respire par la lune
Mais nous vivons d’un seul amour.
À mes côtés, mon tendre ami fidèle,
Avec toi ta compagne joyeuse.
Comme je comprends l’effroi de ces yeux gris,
C’est toi, la raison de mon mal.
Ne multiplions pas nos brèves rencontres.
Ainsi garderons-nous notre tranquillité.
Juste ta voix qui chante dans mes vers,
Et dans les tiens passe mon souffle.
Oh, ce brasier, ni l’oubli ni la peur
N’osent l’effleurer,
Si tu savais comme je les aime
Tes lèvres sèches, tes lèvres roses !
Les feuilles des nénuphars et les jupes de gaze légère sont teintes de la même couleur ;
Sur les fleurs des nénuphars et sur de riants visages, c’est le même rose qui s’épanouit.
Les feuilles et la gaze, les fleurs et les visages s’entremêlent au milieu du lac ; l’œil ne saurait les distinguer.
Tout à coup l’on entend chanter ; alors seulement on reconnaît qu’il se trouve là des jeunes filles.
Jadis les charmantes filles de Ou, et les beautés de Youe, et les favorites du roi de Thsou
Se jouèrent ainsi parmi les nénuphars, cueillant des fleurs et mouillant gaiement leurs gracieux vêtements.
Quand les jeunes filles arrivent à l’entrée du lac, les fleurs lèvent la tête, comme pour recevoir des compagnes,
Et quand elles s’en retournent, en suivant le cours du fleuve, la blanche lune les reconduit.