Je vous souhaite la peur délicieuse d’un orage
tout seul dans votre chambre d’enfant
le sourire triste d’un bonbon de miel
au cours d’une convalescence tiède,
un baiser, sur le front, dans le noir.
Je vous souhaite l’émerveillement d’un caillou
choisi sur une plage entre cent millions d’autres.
Je voudrais tant que vous partagiez l’événement d’une ultime coccinelle
perdue sur la page d’un livre à la rentrée des classes,
le bouleversement d’une goutte de rosée qui hésite à l’extrémité d’une branche
ou la fragilité du ronronnement d’un chat dans la pupille de la nuit.
Écoutez la cotte de maille du peuplier dans le vent !
Écoutez l’audace d’une odeur de mimosa en plein coeur de l’hiver !
Je vous souhaite la curiosité,
l’appétit d’infimes et de minuscules rencontres
l’éclair d’une cicindèle ou d’un martin-pêcheur…
le plaisir d’une giboulée sur la peau nue
les grains de douceur sur la rivière
qui confesse tous les dessous du ciel
de ses dentelles d’écume sur les galets.
Je vous souhaite, le panier rempli de chanterelles,
l’odeur de chien mouillé, du vêtement qui sèche
près d’une flamme de feu de bois
et l’amitié de ce vieil habit qui ne craint rien.
Le chèvrefeuille, le chardonneret, l’ancolie, la morille…
Ah ! comme je vous souhaite de bâtir votre enfance
dans un puzzle de nuages blancs
la nuque sur un coussin de mousse.
En quelle langue dit-on, en quelle nation,
En quelle autre humanité a-t-on appris
Le mot qui ordonne le désordre
Qui s’est tissé dans ce tourbillon ?
Quel murmure de vent, quels chants dorés
D’un oiseau posé sur les hautes branches
Diront, en sons, les choses que, muets,
Dans le silence des yeux nous confessons ?
***
No silêncio dos olhos
Em que língua se diz, em que nação,
Em que outra humanidade se aprendeu
A palavra que ordene a confusão
Que neste remoinho se teceu?
Que murmúrio de vento, que dourados
Cantos de ave pousada em altos ramos
Dirão, em som, as coisas que, calados,
No silêncio dos olhos confessamos?
(José Saramago)
Recueil: Les poèmes possibles
Traduction: Nicole Siganos
Editions: Jacques Brémond
Les armaillis des Colombettes
De bon matin se sont levés.
2
Quand ils sont arrivés aux Basses-Eaux
Le chancre me ronge! Ils n’ont pu passer.
3
Pauvre Pierre, que faisons-nous ici?
Nous ne sommes pas mal embourbés
4
Il te faut aller frapper à la porte,
A la porte du curé.
5
Que voulez-vous que je lui dise
A notre brave curé.
6
Il faut qu’il dise une messe
Pour que nous puissions passer
7
Il est allé frapper à la porte
Et il a dit ceci au curé:
8
Il faut que vous disiez une messe
Pour que nous puissions passer
9
Le curé lui fit sa réponse:
Pauvre frère, si tu veux passer
10
Il te faut me donner un petit fromage
Mais sans écrémer le lait.
11
Envoyez-nous votre servante
Nous lui ferons un bon fromage gras.
12
Ma servante est trop jolie
Vous pourriez bien la garder
13
N’ayez pas peur, notre curé
Nous n’en sommes pas si affamés
14
De trop « moler » votre servante
Il faudra bien nous confesser
15
De prendre le bien de l’Eglise
Nous ne serions pas pardonnés
16
Retourne-t’en, mon pauvre Pierre
Je dirai pour vous un Ave Maria.
17
Beaucoup de biens et de fromages vous souhaite
Mais venez souvent me trouver.
18
Pierre revient aux Basses-Eaux
Et tout le train a pu passer
19
Ils ont mis le kio à la chaudière
Avant d’avoir à moitié trait
REFRAIN
1-3-5-7-9-11-13-15-17-19: Lyôba (appel des vaches) pour traire (bis).
Venez toutes, les blanches, les noires,
les rouges, les étoilés sur la tête les jeunes, les autres,
Sous ce chêne où je vous traie,
sous ce tremble où je fabrique le fromage, Lyôba, lyôba, pour la traite (bis).
***
Lè j’armayi di Kolonbètè
TITRE DU CHANT EN FRANCAIS:
Le Ranz des Vaches
1
Lè j’armayi di Kolonbètè
Dè bon matin chè chon lèvâ.
2
Kan chon vinyê i Bachè j’Ivouè
Tsankro lo mè! n’an pu pachâ.
3
Tyè fan no ché mon pouro Piéro?
No no chin pâ mô l’inrinbyâ.
4
Tè fô alâ fiêr a la pouârta,
A la pouârta dè l’inkourâ.
5
Tyè voli vo ke li dyécho?
A nouthron brâvo l’inkourâ.
6
I fô ke dyéchè ouna mècha
Po ke no l’y pouéchan pachâ.
7
L’y è j’elâ fiêr a la pouârta
È l’a de dinche a l’inkourâ:
8
I fô ke vo dyécho ouna mècha
Po ke no l’y puéchan pachâ.
9
L’inkourâ li fâ la rèponcha:
Pouro frârè che te vou pachâ,
10
Tè fô mè bayi ouna motèta
Ma ne tè fô pâ l’èhyorâ.
11
Invouyi no vouthra chèrvinta
No li farin on bon pri grâ.
12
Ma chèrvinta l’è tru galéja
Vo porâ bin la vo vouêrdâ.
13
N’ôchi pâ pouêre, nouthron prithre,
No n’in chin pâ tan afamâ.
14
Dè tru molâ* vouthra chèrvinta
Fudrè èpè no konfèchâ.
15
Dè prindre le bin dè l’èlyije
No ne cherin pâ pèrdenâ.
16
Rètouârna t’in mou pouro Piéro
Deri por vo on’Avé Maria.
17
Prou bin, prou pri i vo chouèto
Ma vinyi mè chovin trovâ.
18
Piéro rèvin i Bâchè j’Ivouè
È to le trin l’a pu pachâ.
19
L’y an mè le kiô a la tsoudêre
Ke n’avan pâ la mityi aryâ.
Redzingon
1-3-5-7-9-11-13-15-17-19: Lyôba, lyôba, por aryâ (bis). Vinyidè totè, byantsè, nêre, Rodzè, mothêlè, dzouvenè ôtrè,
Dèjo chti tsâno, yô vo j’âryo, Dèjo chti trinbyo, yô i trintso, Lyôba, lyôba, por aryâ (bis).
Légèrement viens ou légère pars;
Bien que ton сoeuг présage ton malheur,
Les vallées et souvent un soleil vain,
Oréade, laisse courir ton rire,
Jusqu’à ce que l’air irrévérent des monts
Fasse onduler ta flottante chevelure.
Légère, légèrement — sois toujours :
Les nuages qui recouvrent les vallées,
Quand il est l’heure de l’étoile du soir,
Sont les suivants les plus humbles;
Amour et rire se confessent par un chant
Quand le coeur est plus lourd.
***
Lightly come or lightly go:
Though thy heart-presage thee woe,
Vales and many a wasted sun,
Oread, let thy laughter run,
Till the irreverent mountain air
Ripple all thy flying hair.
Lightly, lightly — ever so:
Clouds that wrap the vales below
At the hour of evenstar
Lowliest attendants are;
Love and laughter song-confessed
When the heart is heaviest.
(James Joyce)
Recueil: Musique de chambre et autres poèmes Pomes Penyeach Ecce Puer
Traduction: Philippe Blanchon
Editions: La Nerthe
Ô combien est heureuse
La peine de cacher
Une flamme amoureuse
Qui deux cœurs fait brûler,
Quand chacun d’eux s’attend
D’être bientôt content.
Las on veut que je taise
Mon apparent désir,
En feignant qu’il me plaise
Nouvel amy choisir :
Mais telle fiction
Veut même affection.
Votre amour froide et lente
Vous rend ainsi discret :
La mienne violente
N’entend pas ce secret :
Amour nulle saison
N’est amie de raison.
Si mon feu sans fumée
Est cuidant et chaud
Etant de vous aimée
Du reste ne m’en chaut :
Soit mon mal vu de tous
Et seul senti de tous.
Si femme en ma présence
Autre vous entretient,
Amour veut que je pense
Que cela m’appartient :
Car luy et longue foi
Vous doivent tout à moi.
Que me sert que je sois
Avec Princes, ou Rois,
Et qu’ailleurs je vous voie
Sans approcher de moi ?
La peur du changement
Me cause grand tourment.
Quand par bonne fortune
Serez mien à tout point,
Lors parlez à chacune
Il ne m’en plaindrai point :
Bien vous pry cependant
N’être ailleurs prétendant.
Hélas qu’il fut possible
Que puisses être moy,
Pour voir s’il m’est pénible
Le mal que j’ai pour toi :
Tu prendrais grand pitié
De ma ferme amitié.
Vous semble-t-il, que la vue
Soit assez entre amis,
Ne me voyant pourvue
De ce qu’on m’a promis ?
C’est trop peu que des yeux
Amour veut avoir mieux.
De vous seul je confesse
Que mon cœur est transis :
Si j’étais grand princesse
Je dirais tout ainsi :
Si le vôtre ainsi fait
Montrez-le par effet.
***
O how happy is
The pain of sealing
An amorous flame
That makes two hearts burn,
When each of them expects
To soon be happy.
Alas, one wishes that I conceal
My apparent desire,
By feigning that it pleases me
To choose my new friend
But such a fiction
Wishes the same affection.
Your cold, slow love
Thus makes you discreet:
Mine, violent
Hears not this secret:
Love in no season
Is the friend of reason.
If my fre without smoke
Is burning and hot,
Being loved by you
Besides, it matters little to me:
Let my ill be seen by all
And felt alone by all.
If a woman in my presence
Other than you maintains,
Love wants me to think
That that belongs to me:
For he and long faith
You owe everything to me.
***
O, wie schön ist doch die Müh’,
Eine Liebesflamme zu verhehl’n,
Die zwei Herzen lässt erglühn,
Und wenn ein jeder freudig drauf’ gefasst’,
Zufrieden bald zu sein.
Ach, ich soll jedoch verschweigen
Mein sichtbares Begehr,
Und tun, so, als ob er mir gefele,
Einen neuen Freund erkör’.
Aber solch eine Mär
Will doch auch Herzenserhör’.
Eure ach so kalte und lahme Lieb’
Macht Euch so “verschämt“,
Die meine nun hingegen, gar heftig,
Hört nicht auf solch Geheim’:
Die Liebe, wann auch immer,
Will nie vernünftig sein!
Wenn mein rauchlos’ Feuer
Ist brennend und so heiß,
Wenn ich von Euch geliebet,
Der Rest ist mir dann gleich!
Dann kann ruhig ein jeder sehen
Und spüren meine Pein.
Wenn ein ander’ Weib
Vor mir Euch unterhält,
Die Liebe will, dass ich dann denke,
Dass mir das doch zufällt:
Denn er und lange Treue
Euch alles schulden mir.
1
Avec une auto
On va tout de go
S’casser la figur’ contre un poteau
Si pour éviter
Un’ vieille, un curé
On fait un virage un peu forcé
Ou on s’ fait descendr’ par un taxi
Ah! quelle affair’!
Mais c’est bien plus rupin qu’ les acci…
Dents d’ chemin d’ fer!
C’est charmant,
Épatant
Une auto!
Une auto!
C’est le confort,
Le dernier mot du sport!
C’est pratique
Ultra chic
Viv’ l’auto!
Viv’ l’auto!
Viv’ la poussièr’
Et viv’ les courants d’air!
La quatrièm’ vitesse
Est vraiment un régal
Qui s’ termin’, je l’ confesse
Sur un lit d’hôpital
C’est rapid’
C’est splendid’
Une auto!
Une auto!
L’ dernier bateau
C’est un’ quarant’ chevaux!
(Robert Desnos)
Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier
Le bon roi Dagobert
Avait sa culotte à l’envers
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, votre majesté
Est mal culottée
C’est vrai lui dit le roi
je vais la remettre à l’endroit
Le boi roi Dagobert
Chassait dans la plaine d’Anvers
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, votre majesté
Est bien essouflée
C’est vrai lui dit le roi
Un lapin courait après moi
Le bon roi Dagobert
Voulait s’embarquer sur la mer
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi Votre majesté
Se fera noyer
C’est vrai, lui dit le roi
On pourra crier : le roi boit !
Le bon roi Dagobert
Mangeait en glouton
du dessert Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi vous êtes gourmand
Ne mangez pas tant
C’est vrai lui dit le roi
Je ne le suis pas tant que toi
Avait sa culotte à l’envers
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, votre majesté
Est mal culottée
C’est vrai lui dit le roi
je vais la remettre à l’endroit
Le boi roi Dagobert
Chassait dans la plaine d’Anvers
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, votre majesté
Est bien essouflée
C’est vrai lui dit le roi
Un lapin courait après moi
Le bon roi Dagobert
Voulait s’embarquer sur la mer
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi Votre majesté
Se fera noyer
C’est vrai, lui dit le roi
On pourra crier : le roi boit !
Le bon roi Dagobert
Mangeait en glouton
du dessert Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi vous êtes gourmand
Ne mangez pas tant
C’est vrai lui dit le roi
Je ne le suis pas tant que toi
Le bon roi Dagobert
Avait un grand sabre de fer
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, votre majesté
Pourrait se blesser
C’est vrai lui dit le roi
Qu’on me donne un sabre de bois
Le bon roi Dagobert
Faisait des vers tout de travers
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, laissez aux oisons
Faire des chansons
C’est vrai lui dit le roi
C’est toi qui les feras pour moi
Le bon roi Dagobert
Craignait fort d’aller en enfer
Le bon saint Eloi lui dit
O mon roi, je crois bien, ma foi
Qu’ vous irez tout droit
C’est vrai lui dit le roi
Ne peux-tu pas prier pour moi ?
Quand Dagobert mourut
Le diable aussitôt accourut
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, satan va passer
Faut vous confesser
Hélas, lui dit le roi
Ne pourrais-tu pas mourir pour moi ?
Tu crains de confesser tes imperfections,
Tu pleures, pauvre sot, sur ta force perdue.
Je veux dix fois le jour haïr mes actions
En couronnant de fleurs ma tête entrechenue.
Muse, pour tes vrais fils aujourd’hui c’est demain !
Mais si leur coeur descend au niveau de la foule,
Ce bon vin plein d’ardeur qu’ils buvaient dans ta main
Tourne comme du lait et comme une eau s’écoule.