Prenez les gens pour des nuages
Passez au travers des nuages
Et vous ne verrez pas l’orage
L’amour n’est plus qu’un jeu mortel
Et les symboles du langage
Déguisent bien le désespoir
Vous chantez fumées et feuillages
Vous réduisez à des images
Mon corps plus vif que sève et feu
Il perd pour vous l’éclat charnel
Vous le rangez dans l’irréel —
Le son du vent et mes appels
Confondus dans votre savoir —
Je suis vivante et mon cri tranche
Tous ces déserts imaginaires
Oasis, oiseaux indulgents
Ne croissent pas dans mon domaine
Mais je fends la coque des mots
Et j’y surprends la mer sauvage
Dont le désir franchit les plages.
(Janine Mitaud)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
Pose là tes mains
Comme deux silhouettes frémissantes
Qui ne trahiront pas ta mémoire
O Belle secrète
Déjà s’ébranlent tes veines
Pour apprendre le vertige
Pour poser des charnières
Aux personnages que nous incarnons
Tu as oublié ta pesanteur
Aux rives où l’on enchaîne
Les mouettes noires
Et s’ouvrent devant ton corps
Les horizons chauds du rêve
Du rêve du monde et de la vie
Fondus et confondus
Brillants à l’appel de tes yeux A
l’infini des parfums
J’ignore la croissance du miel
Le mécanisme de l’aile
Le port où l’on nous attend toi et moi
Séparément
Je ne veux reconnaître que l’appel du jour
La courbe de ta hanche
Et la frayeur de mon corps
A l’instant de l’amour
L’arbre non plus ne voit pas son destin La
pierre oubliée au fond de la rivière Espère
reconnaître chaque courant A mon
passage
Donne-moi tes mains
O Belle secrète
Cette nuit ta mémoire éclatera
(Jean-Guy Pilon)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
Je m’appelle Mango et le soir tombe sur la lagune d’Ébrié.
Il n’y a que le bruit de ma pagaie dans l’eau à peine mouvante.
Et mon frère, derrière moi, qui essaie de me rejoindre,
Déjà confondu dans la mer des ombres, et détaché de ma solitude.
Je suis Mango, le pêcheur de carpes et je vais vers ma femme,
Vers mes enfants,
Vers ma paillote. Qui m’attendent.
Quelle est mon attente ?
Les jours sont pareils, pareilles sont les nuits, pareils les visages de ma vie.
Quelle est mon attente ?
L’obscurité déjà m’enveloppe, et je ne suis plus qu’une silhouette,
Sur la lagune d’Ébrié,
Sous le ciel encore mauve avant de s’éteindre dans mon coeur au sang noir.
Je n’étais plus Mango, tantôt, au milieu de la lagune d’Ébrié,
Mais l’air humide et lourd qui couvrait mon corps nu ;
Mais l’eau qui me portait ;
J’étais tout et l’infini de mes paysages,
J’étais la forêt et la savane.
Je n’étais plus Mango, mais le chant qui sourd au fond de moi,
Âme de toutes les âmes,
Respiration secrète du fromager et du feu flamboyant.
J’étais terre et eau, et la sève de l’arbre enraciné dans la vérité de ma nature.
Maintenant, je m’approche de la rive obscure,
Et je retournerai parmi vous, mes amis :
Vous me demanderez qui je suis ?
Je serai le matin où je vous ai quittés et la nuit de mon retour.
Je serai le lieu entre deux pôles et vêtu d’univers,
Ma voix montera des origines avec le murmure des sources.
J’ai peu du poids que je porte en moi :
C’est le poids de ma vérité et le poids du monde.
Je suis Mango, le pêcheur de la lagune d’Ébrié, et vous ne me reconnaîtrez pas.
(Adrien Jens)
Recueil: Je est un autre Anthologie des plus beaux poèmes sur l’étranger en soi
Traduction:
Editions: Seghers
Ah ! que je vous regarde avec des yeux fervents,
Arbres grandis ici et là sans contrainte,
Mes frères qu’on n’a pas comptés et mis en rangs
Et qui mêlez doucement vos bras et vos têtes !
Que je ne te force pas à tomber avant l’heure,
Petite feuille d’or qui rêves en te berçant ;
Tu naquis pour danser dans l’air et la lumière,
Reste jusqu’à la fin de ta danse et de ton sang !
Ah ! et toi, gazon vif, herbe populeuse, heureux peuple
Que font jouer les vents et l’ombre des nuages ;
Clémence de la terre ! Espérance invincible
Qui renaît de la cendre et qui perce la neige !
Qu’en toi je m’agenouille et que je cache en toi,
Herbe, ma face d’homme qui fait fuir les bêtes !
Que je sois confondu à ta taille ; et ta loi,
Que je la réapprenne et qu’elle me relève !
Brins verts contre ma bouche et que mon souffle fait trembler,
Je vous confie la détresse de l’homme
Et la honte où il est d’avoir encore abandonné
Le soin de son royaume au rebut des âmes.
Herbe que rajeunit et lave chaque aurore,
Je convie en ton cœur les cœurs toujours aimants ;
Je convie en ton cœur ces peuples vieux qui pleurent,
Repliés sous un joug sanglant !
(Charles Vildrac)
Recueil: Chants du désespéré (1914-1920) –
Traduction:
Editions: Gallimard
Tout le temps j’entendais
Leur voix qui fredonnait
Mais je ne les confondais pas
Avec mes soupirs
Parce qu’elles effleuraient mes oreilles
Je les portais avec prudence
D’émoi elles ont un jour
Changé de couleur
L’une a disparu en mer
Mais je garde l’autre en main
Comme souvenir à cette boucle d’oreille avec perle
Que j’ai dû perdre une nuit.
***
AN EARRING LEFT IN MY HAND
All the time I heard
their whispering voice.
But I didn’t mix it
with my sighs.
Because they touched my ears,
I wore them carefully.
Once they changed colour
for excitement.
One of them disappeared in the sea,
but the other I hold in my hand
as memory of a pearl earring
I must have lost some night.
***
ΣΚΟΥΛΑΡΙΚΙ ΣΤΗΝ ΠΑΛΑΜΗ ΜΟΥ
Άκουγα για πολύ καιρό
τον ανεπαίσθητο ψίθυρο τους
που δεν ανάμειξα
με τον αναστεναγμό μου.
Επειδή άγγιζαν τ’ αυτιά μου
πρόσεχα πώς τα φορούσα
μια φορά άλλαξαν χρώμα
από ενθουσιασμό.
Έχασα το ένα στη θάλασσα
αλλά κρατώ το άλλο στην παλάμη μου
ανάμνηση μαργαριταρένιου σκουλαρικού
που με κράτησε άϋπνη μερικές νύχτες
***
EIN OHRRING, GEBLIEBEN IN MEINER HAND
Ständig hörte ich
Ihre flüsternde Stimme
Aber ich vermischte sie nicht
Mit meinen Seufzern
Weil sie meine Ohren berührten
Trug ich sie vorsichtig
Eines Tages änderten sie
Vor Aufregung ihre Farbe
Einer verschwand im Meer
Aber den anderen halte ich in meiner Hand
Als Erinnerung an einen Perlenohrring
Den ich eines Nachts verloren habe.
Todo el tiempo escuché
Su voz susurrante
Pero no se mezclaba
Con mis suspiros
Porque tocaron mis orejas
Los llevé con cautela.
Una vez cambiaron de color
Por la excitación
Uno de ellos desapareció en el mar
Pero el otro permanece en mi mano
Como recuerdo de un pendiente con perla
Que debí perder alguna noche.
***
N’ARICCHINA LASSATA NTA LA MANU
Sempri sinteva la so vuci
Ca mi murmuriava
Ma non la cunfunnìa chî me suspiri
Vistu ca mi tuccavanu l’aricchi
Li purtava cu cautela.
Na vota canciaru di culuri
Pi l’emozioni
Una d’iddi mi spiriu dintra lu mari
Ma l’autra la tegnu nta la manu
Comu ricordu di dd’aricchina di perli
C’appi a perdiri quacchi nuttata.
***
KOLCZYK, KTÓRY POZOSTAŁ W DŁONI
Cały czas słyszałam
ich szepczący głos.
Ale nie pomyliłam go
z moimi westchnieniami.
Ponieważ dotykały moich uszu
Nosiłam je troskliwie.
Pewnego razu zmieniły barwę
z podniecenia.
Jeden z nich zniknął w morzu,
ale drugi trzymam w dłoni
jako pamiątkę perłowego kolczyka
który musiałam zgubić pewnej nocy.
***
CERCEL RĂMAS ÎN PALMA MEA
Neîncetat le-am ascultat
Firavul glas, ușor șoptit
Dar nu l-am confundat
Cu propriile mele suspine.
Urechile, duios atinse,
Cu gingășie i-au purtat
Însă cândva, când s-au decolorat
Într-un moment de excitație intempestivă
Unul din ei s-a rătăcit în ocean
Iar cel de-al doilea mi-a rămas în palmă.
E amintirea unui anumit cercel perlat
Pierdut în iureșul unei nopți agitate.
CHOSES QUI FONT QU’ON SE DEMANDE POURQUOI ON EST TRISTE
Écoute Est-ce le vent ? Écoute Réveille-toi
Est-ce un renard ? Le vent ? Est-ce un pas ? Qui hésite ?
Est-ce un oiseau de nuit clopinant sur le toit ?
Est-ce un chagrin de mes dix ans ayant rejoint ma piste ?
Ou bien l’hésitation à la marge des bois
d’une bête en suspens entre l’ombre et la fuite ?
Écoute On a marché Il faudrait aller voir
C’est peut-être le vent qui fait battre un volet
dans une maison basse au fond de ma mémoire
que j’ai oublié de fermer avant de m’en aller
pour toujours il y a des années
et le volet n’en finit pas dans une autre nuit noire
de battre sur le mur disparu comme si le mur et lui existaient.
Écoute Est-ce la pluie ou bien le vent dehors
qui font glisser le long du silence étonné
le chuchotis furtif d’une averse qui s’endort
puis qui reprend fait halte encore et recommence à pianoter ?
Ai-je rêvé que je pleurais ? Ai-je rêvé que j’étais mort ?
Et maintenant est-ce la pluie sur cette joue ou les larmes que j’ai rêvées ?
Était-ce toi qui m’attendais minuit d’une autre vie ?
Je me suis égaré J’ai cherché très longtemps l’orée et le chemin
J’ai dû marcher des heures dans l’humus sous la pluie
et quand j’ai reconnu la barrière l’allée d’ormeaux le grand pin
qui donc était sur le seuil soulevant la lampe à pétrole dans la nuit ?
(et dans la cheminée brûlait un grand feu qui sentait la lavande et le pin)
Écoute C’est le vent qui se trompe d’années
qui confond les saisons les pays mon absence
le vent qui ne sait plus où il s’est égaré
C’est lui qui bat Ou bien mon coeur À quoi pense
t-il ? Il bat si loin de moi comme à la dérobée
Est-ce que tu te souviens de la promesse d’enfance ?
On a frappé Je vais ouvrir Ce n’est que moi
Je venais visiter celui que j’ai cru être
Où est la lampe ? Qui a éteint le feu de bois ?
Je passais par ici Il y avait autrefois une allée de grands hêtres
Non C’étaient des ormeaux On les a abattus
Je vais repartir Ne vous occupez pas Il fait déjà froid
Ce n’est que moi Et je m’en vais Odeur d’hiver et de salpêtre
Écoute Est-ce le vent ? Était-ce moi ? Une heure sonne
Ce n’est que moi Ou bien le vent Ou bien personne
(Claude Roy)
Recueil: Claude Roy un poète
Traduction:
Editions: Gallimard Jeunesse