A dix heures du matin la jeune femme
va et vient en robe de chambre derrière
les murs de bois de la maison de son mari.
Je passe solitaire en voiture.
Puis elle revient au bord de la route
pour appeler le marchand de glace, le poissonnier, et debout
timide, sans corset, elle range
des mèches rebelles, et je la compare
à une feuille tombée.
Les roues silencieuses de ma voiture
avancent et font craquer
les feuilles sèches je salue et souris en passant.
Il pleut, il pleut bergère
Presse tes blancs moutons
Allons sous ma chaumière
Bergère vite allons
J’entends sous le feuillage
L’eau qui tombe à grand bruit
Voici, venir l’orage,
voici l’éclair qui luit
Entends tu le tonnerre ?
Il roule en approchant
Prends un abri bergère,
à ma droite en marchant
Je vois notre cabane
Et tiens voici venir
Ma mère et ma soeur Anne
qui vont l’étable ouvrir
Bonsoir, bonsoir ma mère
Ma soeur Anne bonsoir
J’amène ma bergère
Près de nous pour ce soir
Va te sécher, ma mie
Auprès de nos tisons
Soeur, fais lui compagnie
Entrez petits moutons
Soignons bien, oh ma mère,
Son tant joli troupeau
Donnez plus de litière
A son petit agneau
C’est fait allons près d’elle
Eh bien donc te voilà
En corset qu’elle est belle
Ma mère voyez la
Soupons, prends cette chaise
Tu seras près de moi
Ce flambeau de mélèze
Brûlera devant toi
Goûte de ce laitage
Mais tu ne manges pas ?
Tu te sens de l’orage,
Il a lassé tes pas
Eh bien voilà ta couche,
Dors-y bien jusqu’au jour,
Laisse moi sur ta bouche
Prendre un baiser d’amour
Ne rougis pas bergère,
Ma mère et moi demain,
Nous irons chez ton père
Lui demander ta main
De petits hommes capturent les baleines géantes
Pour transformer leurs fanons en corsets ;
Ils prennent à la queue du casoar deux ou trois plumes,
Au tigre, son pelage bigarré
Pour faire une carpette au pied d’un lit bourgeois.
Moi, la ville m’a capturé
Pour coudre sans fin des boutons.
Fil par-ci, aiguille par-là…
Tant de sensations et de chants nostalgiques
Tant de rêves et tant d’humaines passions
Et tout cela ne donne que boutons,
Fil par-ci, aiguille par-là,
Et reboutonne et déboutonne
La joie de créer, la pensée,
Ainsi jour et nuit jusqu’à l’heure
Où l’on entre dans la mort.
Il me semble déjà moi-même être un bouton.
Je me couds, je me couds à la vie
Sans pouvoir m’attacher,
Bouton dessus, forces perdues,
Je ne puis, bouton, me coudre moi-même.
(Zalman Shneour)
Recueil: Anthologie de la poésie yiddish Le miroir d’un peuple
Traduction:
Editions: Gallimard
Sous le corset d’étain des rivières surprises
Sur nos corps ennemis la nuit que nous faisons
Dans le secret du vent éclaté sur nos têtes
La Parole bienvenue retourne à sa naissance.
Mon cœur s’insurge
Devant un ciel blessé
Le froid engourdit le pays
La rivière se marbre de glace
L’herbe se brise comme du verre
Mais il arrive un moment
Où le sol secoue son corset de givre
Quand l’eau chante sur l’écho du matin
Que les fleurs se parlent entre elles
Que les arbres rient d’eux-mêmes
Que les cailloux crient sous les pieds des marcheurs
Et que la maison danse dans la lumière
Quand le soleil sort de sa torpeur
Que le sable tressaille sous la caresse de la mer
Et que les oiseaux jouent avec les nuages
Je communie avec le renouveau