Allongé sur le sable on dirait qu’il dort
Il est beau et très calme dans le froid qui mord
C’est un guerrier nomade, un homme du désert
Qui est couché dans le sable les yeux grands ouverts
Jusqu’où vont les nomades plus loin que la mort
Dans le chant des étoiles y’a le mirador
A quoi rêvent les nomades sous le ciel ouvert
A des pur-sang arabes écumant la mer.
Reste dans ton rêve, c’est peut-être mieux
Mais le jour se lève et en plein milieu
Il y a la frontière.
La violence est silence,
Silence est désert
Sentinelles de sable tournés vers la mer
Tirez sur tout ce qui bouge, même sur la poussière
Tirez sur le soleil rouge qui meurt dans la mer.
Qui partage les pierres, les jungles et le sable
Qui a mis l’univers à plat sur la table
Qui a peur de son ombre et qui fait la guerre
Mais déjà le vent efface ton nom sur la pierre.
Couché sur le sable, on dirait qu’il dort
Mais pour un nomade, c’est après la mort
Qu’y a plus de frontière.
Où est la frontière?
Où est la frontière?
Pour qui la frontière?
C’est loin la frontière?
Pourquoi la frontière?
C’est loin la frontière?
Où est la frontière?
(Bernard Lavilliers)
Recueil: Frontières Petit atlas poétique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Il était une dame tartine,
Dans un beau palais de beurre frais,
La muraille était de praline,
Le parquet était de croquet,
La chambre à coucher,
De crème de lait,
Le lit de biscuits,
Les rideaux d’anis.
Elle épousa monsieur Gimblette
Coiffé d’un beau fromage blanc
Son chapeau était de galette
Son habit était d’vol-au-vent
Culotte en nougat,
Gilet d’chocolat,
Bas de caramel,
Et souliers de miel.
Leur fille, la belle Charlotte,
Avait un nez de massepain,
De superbes dents de compote,
Des oreilles de craquelin.
Je la vois garnir,
Sa robe de plaisirs
Avec un rouleau
De pâte d’abricot.
Le puissant prince Limonade
Bien frisé, vient lui faire sa cour
Ses longs cheveux de marmelade
Ornés de pommes cuites au four
Son royal bandeau
De petits gâteaux
Et de raisins secs
Portait au respect.
On frémit en voyant sa garde
De câpres et de cornichons
Armés de fusils de moutarde
Et de sabre en pelure d’oignons
Sur de drôles de brioches
Charlotte vient s’asseoir,
Les bonbons d’ ses poches
Sortent jusqu’au soir.
Voici que la fée Carabosse,
Jalouse et de mauvaise humeur,
Renversa d´un coup de sa bosse
Le palais sucré du bonheur
Pour le rebâtir,
Donnez à loisir,
Donnez, bons parents,
Du sucre aux enfants.
(Anonyme)
Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette
Cette chambre est fermée de tous côtés.
Cependant, un éclair l’a traversée.
Il me semble du moins en avoir aperçu un.
Ou est-ce la merveilleuse réalité
que nous percevons de l’endroit où nous sommes ?
Cet éclair, est-il désormais
ailleurs, hors d’ici ?
Est-ce chose possible ?
Il n’y a en ce lieu aucun passage.
Et les vitres des fenêtres sont couvertes d’épais rideaux.
Cela ne fut-il qu’une intime illusion?
Cet éclair, n’est-il passé qu’en moi?
Ce malentendu entre dedans et dehors
m’a fait entendre un grondement violent.
Pendant qu’en ce vide obscur
la respiration est à peine sensible,
un silence imperturbable demeure
couché et endormi à mes pieds sur lui : un couvre-pied.
Ce frémissement, qui a parcouru coins et recoins de ce lieu,
a provoqué dans les forêts environnantes un cri de douleur soudain,
audible jusqu’à cette chambre si bien fermée,
cri apparu pour s’éteindre aussitôt, sans disparaître pour autant.
Les rayons, qui pénétrèrent et lacérèrent cet instant fragile,
se sont enfuis et s’enfuient encore,
vers le haut et le bas, le nord, le sud.
S’agit-il du vaste ciel où je me tiens assis maintenant?
Quelle étrange vision pour mes yeux clos !
Mon siège tourne, et en tournant
m’entraîne dans une orbite circulaire,
planète au mouvement semblable
à des milliers d’autres en cet espace infini.
Est-ce donc ainsi la forme de ma pensée,
ainsi ce monde :
un royaume céleste dans la chambre ?
***
(Lokenath Bhattacharya)
Traduction de l’auteur et de Marc Blanchet
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers
Fin de printemps sur fleuve et lac, vent de la chute des fleurs,
Au coucher du soleil un nuage vagabond traverse l’azur,
À son aune on mesure la vanité du monde,
Dix mille affaires toutes oubliées dans un rires.
(Sonsu)
***
Recueil: Ivresse de brumes, griserie de nuages
Traduction: Ok-sung / Anne Baron / Jean-François Baron
Editions: Gallimard
Oh enfants, allez-vous grandir dans un monde sans oiseaux ?
Y aura-t-il des grillons, là où vous êtes ?
Y aura-t-il des asters ?
Des palourdes, au minimum.
Peut-être pas des palourdes.
Nous savons qu’il y aura des vagues.
Pas besoin de beaucoup de vie pour celles-là.
Une brise, une tempête, un cyclone.
Des ondulations, aussi. Des pierres.
Les pierres sont une consolation.
Il y aura des couchers de soleil, tant qu’il y aura de la poussière.
Il y aura de la poussière.
Oh enfants, allez-vous grandir dans un monde sans chansons ?
Sans pins, sans mousses ?
une grotte scellée avec un conduit d’oxygène,
jusqu’à ce qu’il y ait une panne de courant ?
Vos yeux s’éteindront-ils
comme les yeux blancs des poissons sans soleil ?
Et là-dedans, quel voeu ferez-vous ?
Oh enfants, allez-vous grandir dans un monde sans glace ?
Sans souris, sans lichens ?
Oh enfants, allez-vous grandir ?
***
OH CHILDREN
Oh children, will you grow up in a world without birds?
Will there be crickets, where you are?
Will there be asters?
Clams, at a minimum.
Maybe not clams.
We know there will be waves.
Not much life needed for those.
A breeze, a storm, a cyclone.
Ripples, as well.
Stones.
Stones are consoling.
There will be sunsets, as long as there is dust.
There will be dust.
Oh children, will you grow up in a world without songs?
Without pines, without mosses?
Will you spend your life in a cave, a sealed cave with an oxygen line, until there’s a power failure?
Will your eyes blank out like the eggwhite eyes of sunless fish?
In there, what will you wish for?
Oh children, will you grow up in a world without ice?
Without mice, without lichens?
Oh children, will you grow up?
(Margaret Atwood)
Recueil:Poèmes tardifs
Traduction: Christine Évain & Bruno Doucey
Editions: Pavillons